Jean-Paul Gaillard
in revue Thérapie familiale. Editions Médecine et Hygiène. Genève, vol. 24 n° 1- 2002.
Résumé : récit d'une thérapie brève, en forme de danse d'évitement autour d'un événement traumatique sous amnésie, articulée autour des concepts systémiques de réducteur de complexité et de générateur de complication.
Mots clés : thérapie brève - clôture opérationnelle - auto-organisation - traumatisme - double contingence - réducteur de complexité - confiance - générateur de complication - défiance - viol - réalité.
Summary : account of a brief therapy, which involves avoidance of a traumatic event with amnesia. The discussion is linked with the systemic concepts of complexity reducer and complication generator.
Key words : brief therapy – operating closing – auto-organisation – traumatism - double contingency – complexity reducer - trust – complication generator - distrust – rape – reality.
Resumen : relato de une breve terapia en forma de danza de evitacion entorno a un acontecimiento traumatico en estado de amnesia, articulado entorno a conceptos systemicos de reductores de complejidad y genetores de complicacion.
Palabras claves : breve terapia – cierre operational - auto-organizacion – traumatismo – contingencia doble – reductor de complejidad – confianza – genetor de complicacion – desconfianza – violacion – realidad.
Nous proposons ici de larges extraits d'une thérapie systémique individuelle étroitement articulée sur deux concepts clés de l'approche systémique : les concepts de clôture opérationnelle et d'auto-organisation, et sur deux outils théorico-pratiques que nous élaborons actuellement : réducteurs de complexité et générateurs de complication.
Les modèles : de la métaphore à la traduction.
La seconde cybernétique, avec Heinz Von Foerster, s'est fondée sur un modèle biologique : le modèle autopoïétique (Maturana, Varela, Uribe 1974), qui place la notion de clôture au centre des processus générateurs de complexification du vivant : pas d'auto-organisation possible sans clôture, pas de complexification possible sans auto-organisation.
Ce concept de clôture reste cependant un objet a priori peu aisé à manier ; de fait, nous entendons encore couramment parler d'ouverture du système (famille) comme d'un état souhaitable et de fermeture du système (famille) comme d'un état dommageable.
Il est vrai que les premières métaphores (et non pas des modélisations) tentées par les thérapeutes systémiciens ont pris pour sources des modèles physicalistes, en particulier autour du concept d'entropie. Nous oublions trop facilement que les systèmes ouverts dont il était alors question sont des machines thermodynamiques simples, pas vraiment des systèmes au sens où, s'il y a échange de matière, il n'y a pas auto-organisation. Quant aux systèmes fermés, ce ne sont que des machines thermodynamiques triviales sans échange de matière, qui obéissent effectivement à la loi d'entropie.
Ces métaphores thermodynamiques dans l'approche systémique datent des débuts de la première cybernétique : la belle époque où nous pensions pouvoir instruire les familles du haut de nos connaissances ; Von Foerster, en initiant la seconde cybernétique, s'est détourné des modèles thermodynamiques pour se fonder sur un modèle biologique, dont l'un des nombreux avantages est de nous arracher aux approximations métaphoriques et d'autoriser un travail beaucoup plus fin de modélisation (Le Moigne 2002) et de traduction (Latour, Calon 1990).
Autour des années quatre-vingt, le modèle autopoïétique (Varela - Maturana) et le modèle de l'organisation par le bruit (Atlan), ont connu de brèves heures de gloire dans les rangs des praticiens et théoriciens de la thérapie systémique, puis semblent être tombés dans un relatif oubli, passant du statut de référence potentielle à celui de référence de principe, sans avoir connu celui de référence concrètement exploitée. Pendant ce temps, Niklas Luhmann, considérable juriste et sociologue allemand, posant le constat d'une insuffisance des modèles en usage pour saisir la complexification croissante de nos mondes, révolutionnait l'approche sociologique des systèmes sociaux en s'appuyant sur le modèle autopoïétique.
Nous avons posé le même constat que Luhmann et, depuis une quinzaine d'années, la brève mode des années quatre-vingt est restée pour nous une ligne de recherche (Gaillard 1993 à 2000). Nous pensons effectivement que la complexité du vivant mérite mieux et plus que l'appui de modèles réductionnistes et de logiques linéaires, incapables de rendre compte des jeux complexes d'interactions, de compétitions et de hiérarchisations propres au vivant.