Jean-Paul Gaillard
in revue Perspectives psychiatriques Vol. 42 n°2 avril-juin 2003.
Mots clés : schizophrénie - logiques de la communication - communication déviante - émotions exprimées - état de stress post-traumatique - apprentissages neuraux - apprentissages mentaux - émergence d'un monde - cognition - émotion - motivation - réapprentissage - thérapie systémico-cognitive.
Résumé : l'auteur propose de reprendre l'hypothèse qui décrit les comportements schizophréniques comme le fruit d'apprentissages long terme de règles interactionnelles familiales. Il propose en outre, concernant l'apparition des comportements schizophréniques, une hypothèse selon laquelle la tranche d'âge 18-24 ans constitue une période spécifique d'une catégorie de méta-apprentissages très particuliers recalibrant l'ensemble des apprentissages interactionnels du sujet, dont le candidat à la schizophrénie ne peut sortir indemne.
Key words : schizophrénia – logics of communication – communication deviance – exprimed emotions - posttraumatic disorder – neural training – mental training – emergence of a world – cognition – emotion – motivation – relearning – systémico-cognitive thérapy.
Sumary : the author proposes to retake the hypothesis of schizophrenia as a result of long family interactionnal learnings. He proposes moreover, on schizophrenic behaviour emergence, a hypothesis who the 18-24 years age is a period, specific for metalearnings who are recalibring all intractionnal learnings ; the candidate for schizophrenia can't here finish uninjured.
Introduction
La schizophrénie reste aujourd'hui un défi majeur posé aux praticiens et aux chercheurs en psychopathologie de l'adolescence et du jeune âge adulte. Les praticiens, comme ils l'ont toujours fait, se débrouillent avec les moyens du bord, quel que soit le niveau de leurs connaissances : chimiothérapies dont la valeur reste désespérément palliative, internements dont peu s'accordent à leur donner une valeur réellement thérapeutique même si la plupart s'accordent à les considérer comme incontournables, psychothérapies diverses, dont aucune jusqu'alors ne montre une efficacité suffisamment constante.
Au delà des affirmations plus ou moins péremptoires quant à ses causes, exprimant plus des positions d'école que des hypothèses falsifiables (génome, neurotransmetteurs, forclusion du nom du père), et nous détournant résolument de l'observation des troubles chroniques qui, à nos yeux, offrent plus d'intérêt pour une recherche sur les interactions entre patients et institutions psychiatriques que sur les troubles schizophréniques eux-mêmes, nous nous proposons de focaliser sur les troubles naissants (Grivois 2001) à la fin de l'adolescence et sur les contextes dans lesquels il apparaissent.
Nous avons eu la chance (si l'on peut dire, en l'occurrence), au cours de notre déjà longue carrière de psychothérapeute de couple et de famille, d'être par deux fois le témoin d'une schizophrénie naissante, plus précisément d'être là plusieurs mois, voire une année, avant l'apparition du moindre trouble, les parents consultant pour une thérapie de couple.
Par deux fois, nous avons pu observer à loisir des jeux interactionnels récurrents tels que Bateson et Haley les avaient décrit il y a plus de cinquante années (Bateson et all. 1956) et tels que les nombreux travaux sur la communication deviance les ont scientifiquement validé (Hendrick 2002). Par deux fois, nous avons donc été en mesure d'observer, avant l'apparition de tout symptôme étiquetable comme relevant de la schizophrénie, des interactions de couple en direct, ainsi que des interactions familiales médiatisées par le récits des parents, qui confirment que ces modes interactionnels précèdent les troubles et n'en sont pas l'effet.
Nous nous proposons donc, dans la présente communication, de reprendre les travaux de Palo-Alto, en nous appuyant sur les nombreux travaux ultérieurs qui les valident. Leur total abandon par les psychiatres et psychologues institutionnels ne nous surprend pas, dans la mesure où, dans la quasi-totalité des cas, ils se passe une année entre le début des comportements schizophréniques et la première hospitalisation : ils ont donc très peu accès à la schizophrénie naissante. Son relatif abandon par les praticiens de la thérapie systémique ne nous surprend pas non plus, les grand courants développés au cours des vingt dernières années les ont orienté vers les formes les plus brèves de la thérapie, lesquelles semblent ne pas convenir à une prise en charge efficace des troubles schizophréniques (la récente évaluation à vingt ans de l'équipe de Mara Selvini-palazzoli à Milan donne 20 % d'effets positifs durables pour la thérapie de familles avec patient diagnostiqué schizophrène, alors qu'elle affiche 90 % avec l'anorexie mentale ; ces deux chiffres sont pratiquement les mêmes pour notre exercice évalué à quinze annnées).