Thèse de psychologie : doctorat des universités
(nouveau régime)
sous la direction du professeur Hervé Beauchesne (1995)
"Therapeutic bond in general medicine "
Résumé : Questions posées dans la présente thèse : le temps est-il venu de réévaluer le lien qui soigne en médecine générale, au regard des logiques que produisent les sciences humaines contemporaines ? La psychologie clinique peut-elle contribuer efficacement à répondre à cette question ?
Les faits mis en évidence dans nos recherches : (1) 70 à 80 % des maladies présentées au médecin généraliste sont mal guérissables ou non guérissables par les moyens de la médecine moderne. (2) 16 % se montrent guérissables à court terme. (3) Sur ces 16 %, la moitié s'auto-régulerait spontanément en l'absence de soins. (4) Restent 8 à 10 % de maladies guérissables à court termes par l'intervention spécifique du médecin généraliste. (5) La quasi-totalité des maladies accessibles aux médecins généralistes, dans le quotidien de leur consultation, ne relève pas d'une compétence acquise par eux à l'université. (6) il existe un degré de congruence extrêmement faible, entre la littérature sémio-pathologique et la réalité des pathologies que rencontre le médecin généraliste.
Les solutions existantes : groupes Balint, médecine psychosomatique et psychanalyse se proposent comme alternatives aux carences du modèle organo-mécaniste en médecine, mais le dualisme " soma / psyché ", impasse majeure s'opposant à une complexification des pratiques en médecine générale, semble bien trouver une assise aussi forte dans ces disciplines. En quête d'un modèle susceptible de soutenir une approche plus intégrationniste, nous demandons aux épistémologues et aux logiciens de la complexité d'étayer notre voie et nous suivons les penseurs contemporains de la neurobiologie théorique (Henri Atlan, Humberto Maturana, Francisco Varela, Heinz von Foerster), nous appuyant en particulier sur le modèle autopoïétique. Il nous semble que, ainsi outillée, la médecine générale peut alors se redéfinir comme discipline de régulation des avatars de la clôture opérationnelle chez les patients, avatars liés à des couplages structurels de tous niveaux (et non plus seulement organiques) trop à la limite de la viabilité. Nous nous proposons donc, dans la présente thèse, de produire un modèle psychologique intégrationniste largement fondé sur le modèle autopoïétique et de le mettre à l'épreuve de la consultation du médecin généraliste. Deux couples de concepts : langage et mémoire, crise et chronicité émergent clairement de la mise en pratique de ce modèle en médecine générale.
En conclusion, il semble que la refonte psychologique du modèle autopoïétique se montre efficace à faire entrer dans le cadre de la compréhension et de l'action médicale, et donc à réguler favorablement, les 70 à 85 % de maladies mal soignables. De fait, on constate des modifications physiologiquement significatives des tissus lésés ou des états stables humoraux, en même temps que des modifications psychologiquement significatives des comportements et des états affectifs. L'opérateur de ces changements est de nature parfaitement contre-intuitive, autant pour la médecine que pour la psychologie, en ce qu'il revient, pour le praticien comme pour le patient, à abandonner les univers de certitude et de prévision randomisées pour admettre et gérer l'incertitude, restauter des espaces de créativité. Cela se produit grâce à un remaniement des effets de croyance, obtenu par le biais de prescriptions (paradoxes et recadrages) du même type que celles couramment utilisées en thérapie systémique.
Nous pensons que ce modèle ouvre de nouveaux champs à la psychologie clinique, non seulement en psychologie médicale qui n'en est qu'une illustration, mais aussi et surtout en psychothérapie théories et pratiques) et en psychologie des apprentissages.
Mots-clés : médecine générale - enaction - paradigme - pseudenaction - organo-mécanicisme -crise morbide - complexité - chronicisation.
Summary : Problems raised in this thesis : In the light of the logical systems produced by contemporary science, has the time come to rethink the care bond in General Practice (=GP) ? Arguments put forward : (1) 70 to 80 % of the illnesses facing Gpks can only be cured with difficulty, if at all, using modern medical techniques. (2) 16 % can be cured within the short term. (3) Out of these 16 %, half would spontaneously disappear without medical help. (4) This leaves 8 to 10 % of illnesses that can be cured within the short term by specific action from the GP. (5) Hardly any of the illnesses open to the GP in his daily practice can be linked to skills acquired at university. (6) There is a very low level of congruence between semiopathological literature and the reality of the pathologies that the GP is faced with. Existing solutions : The Balint groups, Psychosomatic medicine and Psychoanalysis are offered as alternatives to organo-mechanical shortcomings, but the " soma/psyche " duality is a dead end for developements in GP. Epistemologists and wielders of modern logic are brought in to support this argument and contemporary thinkers in theoretical biology are followed; Henri Atlan, Humberto Maturana, Heinz von Foerster, and especially Francisco Varela's enactive model (autopoïesis). Thus GP can be defined as the branch which deals with the regulation of operational enclosure fluctuations linked to structural coupling whose viability is stretched to its limit. Consequently, GP takes in and centrally revises two pairs of concepts : language and memory, crisis and chronicity. Conclusion : The 70 to 85 % of difficult-to-cure illnesses in which tissues and body fluids are significantly modified physiologically through " pseudenaction ", could become an integral part of the framework of medical understanding and of efficient medical action.