Jean-Paul Gaillard
in revue Pratiques psychologiques n° 1-2004. Elsevier. Paris.
Résumé : à partir d'une réflexion sur les glissements logiques repérables dans le champ de la déficience mentale, entre « psychose » et « troubles du comportement » chez les enfants arriérés, l'auteur décrit les attitudes et comportements des professionnels médico-psycho-éducatifs à l'égard, en particulier des mères d'enfants handicapés, qui lui semblent découler de cette posture logique. Il propose ensuite des éléments pour un recadrage de ces attitudes et comportements dans le sens d'une construction partenariale avec ces mères.
Mots clés : psychose - handicap - arriération profonde - régulation épistémique - partenariat.
Summary : Mothers of children mentaly handicaped and medical, psychological and educational staffs. The author suggests a reflexion on the observables logical glindings on the area of mental deficiency, between "psychosis" and "troubles of behavior" for the backward children. He describes attidudes and behaviors of the professionals towards the mothers of children mentaly handicaped, who ensue from this logical position. At the end he suggests elements for a modification in the direction of a real partnership with these mothers and families.
Key words : psychosis - handicap - deep mental deficiency - epistemic regulation - partnership.
Images de mères
Les mères n'ont pas de chance, avec les psys . Sigmund Freud, très tôt, mit en place un principe de stigmatisation maternelle à travers le dispositif oedipien : si, par malheur, le père omet d'intervenir pour rompre le lien primordial et castrer cette chimère qu'est l'être mère-enfant, ce monstre composite, alors le destin de l'enfant est scellé : il n'entrera pas au royaume de névrose. En 1943 Léo Kanner, décrivant les caractéristiques de l'autisme infantile, nous offrit un portrait de mères froides et intellectuelles, causes plus que probables des désordres profonds et irréversibles de leur enfant. La thérapie systémique naissante fit très tôt fortune avec le concept de « mère de schizophrène » pour lequel, même, on décerna un Prix à Gregory Bateson.
Entre Médée et Jocaste, entre la tueuse et la séductrice, elles n'ont que l'embarras du choix !
Et si, aujourd'hui, après Kanner qui leur présenta ses excuses, après les systémiciens qui décidèrent d'exclure toute logique désignatrice dans leurs pratiques et leurs théories, les psychanalystes se montrent plus respectueux avec les mères, il n'en reste pas moins que, logique causale linéaire oblige, ces dernières occupent toujours une place particulièrement sensible au bout du « parce que » : « cet enfant va mal, parce que... ».
Mère d'un enfant handicapé
Si devenir la mère d'un enfant conforme semble culturellement redéfinir une femme entre ces deux positions inconfortables, médéenne ou jocastienne, devenir celle d'un enfant non conforme, handicapé, enclenche une cascade de processus à proprement parler catastrophiques et destructeurs. Pour en avoir largement traité par ailleurs (Gaillard 1999, Gaillard 2003), nous ne reviendrons pas sur la description de la violence des atteintes identitaires successives que cette jeune mère subit. Nous insisterons en revanche sur l'importance du choc traumatique provoqué par l'annonce du diagnostic et sur ses effets délétères long terme, qui détermineront pour une très large part le devenir du binôme mère-enfant, mais aussi de la famille tout entière.