Jean-Paul Gaillard
in revue Psychologie et éducation n° 23. 1995. Editions La pensée sauvage. Grenoble.
Résumé : notre pensée et notre action, dans notre activité professionnelle comme dans notre vie privée, sont puissamment cadrées, organisées, structurées, par ce que les épistémologues nomment un paradigme. Grace au fait que nous vivons actuellement une période de profond remaniement paradigmatique, il nous est possible de rendre « visibles » deux grilles paradigmatiques : celle qui a structuré notre pensée et notre action depuis notre naissance, et celle qui, aujourd'hui, l'évince. Cet article présente, sous une forme très concrète, ces deux grilles d'organisation de la pensée et de l'action, en ce qu'elles structurent étroitement la pédagogie, d'une époque à l'autre.
Mots cles : épistémologie - logique - grille paradigmatique - enseignement - cartésianisme (causalité linéaire, mécanicisme, réductionnisme, criticisme, négativisme, valorisation de l'erreur, conotation négative, instructionnisme, prédicitbilité, optimisation) - complexité (causalité circulaire, intégrationnisme, modélisation, positivité, valorisation de la réussite, connotation positive, auto-information, auto-organisation, imprédictibilité, dérive co-ontogénétique, viabilité)
Sumary : wether in our professional or private life our thinking and our actions are tighty conditioned and structured by what know to epistemologists as a paradigm as we are expenencing a period of intense paradigmatic reorganisation we are adde to ''pinpoint '' two paradigmatic frameworks : both we are which has organised our way of thinking and our actions since birth, and the one which is now taking its place. The way teaching practice is and has been closely under pinned by these two paradigmatic frameworks of trought and of action will be discussed in very concrete terms in this article.
Key words : epistemelogy - logic - paradigmatic framework - teaching - cartesianism (linear causality, mechanicism, reducism, criticalism, negativism, error valorizing, negative connotation, instructioning, prediction, to optimize) - complexity (circular causality, systemism, integrationism, modelisation, to positive, success valorizing, positive connotation, self-information, self-organization, unprediction, co-ontogenesis, viability).
Ce qui est digital relève des doigts, c'est-à-dire de l'action de compter (ou computer) ; un code digital, ou numérique, est celui dans lequel on utilise la numérotation binaire : zéro / un, par exemple ; il est réputé prêter à une lecture directe. Une montre digitale est une montre sur laquelle je peux lire en chiffres : « 9h 42mn 28sec. ». Le référent du registre digital est un code très étroitement et précisément déterminé. L'action de digitaliser, ou numériser, dessine un univers discontinu.
Ce qui est analogique relève d'un rapport de similitude entre des objets différents. Résoudre un problème à l'aide d'un code analogique consiste à mettre en oeuvre un rapport de similitude entre les mesures continues d'un phénomène physique donné et des mesures continues de phénomènes physiquement différents : l'aiguille du compteur Geger me montre le degré de radioactivité d'une roche, le mercure dans le thermomètre indique le niveau de ma fébrilité ; la lecture d'un code analogique passe par un jeu continu de références approximatives, ou, tout au moins, par un jeu approximatif de références continues. Une montre analogique est une montre sur laquelle je peux repérer l'heure, grace au regard intuitif que je porte sur la situation des aiguilles dans le cadran, par rapport à ce que je sais de la place, réelle ou virtuelle, des chiffres figurant les heures sur ce même cadran, lié à ma capacité à identifier la droite et la gauche, le haut et le bas. Cela dessine un univers continu.
Par extension, et sous l'influence, en particulier, de l'Ecole de Palo Alto puis de l'Ecole de thérapie systémique milanaise, il est devenu courant d'identifier le langage verbal à un code digital et le langage non verbal à un code analogique. Il est devenu non moins courant de préciser que les deux niveaux de langage coexistent en permanence dans les interrelations humaines et que les liens qu'ils entretiennent entre eux sont des liens de ponctuation ; ils sont, l'un pour l'autre un jeu de contextes.
A partir de ces prémisses, il semble que nous devrions formaliser l'ensemble que constituent la gestique enseignante et les mots de l'enseignant, soit la bonne manière de placer sa voix, la mesure du geste, les modalités d'expression de l'émotion et la façon adéquate d'y placer des mots. En d'autres termes, formaliser l'intrication harmonieuse de trois d'objets appartenant à la même classe : voix, geste, émotion, avec un objet appartenant à une autre classe : le langage, ainsi que le méta-objet qu'ils constituent ensemble et qu'on peut appeler « communication pédagogique ».