Modèle systémique : approches théoriques et cliniques.
Cours de Jean-Paul Gaillard
« Le soi-disant spécialiste en sciences du comportement, qui ignore tout de la structure fondamentale de la science
et de 3000 ans de réflexion philosophique et humaniste sur l’homme - qui ne peut définir, par exemple,
ni ce qu’est l’entropie ni ce qu’est un sacrement - ferait mieux de se tenir tranquille,
au lieu d’ajouter sa contribution à la jungle actuelle des hypothèses bâclées. »
G. Bateson 1977 : Vers une écologie de l’esprit 1, p. 17)
Je vais commencer par vous montrer ce que fait un thérapeute confirmé, c'est-à-dire quelqu'un qui a beaucoup travaillé l’épistémologie, la logique les diverses théories et les divers styles liés à divers modèles psychothérapeutiques, dans le même temps qu’il s’impliquait durant plusieurs années dans une formation personnelle en psychothérapie ; Je vais vous montrer des choses qui semblent aller de soi, qui semblent faciles, voire magiques…
Mais quand vous vous y frotterez dans vos stages, vous comprendrez que rien de tout cela n’est facile, qu’il n’y a aucune magie, mais seulement une longue et patiente acquisition de compétences personnelles et professionnelles, associées à une constante curiosité intellectuelle.
Les gens qui chercheraient à vous faire croire qu’il existe des méthodes en psychothérapie qui ne nécessitent aucune formation approfondie seraient tout simplement des menteurs.
Le jeune Robert
Il a bientôt 13 ans, un peu rond, cheveux en brosse, bonne bouille. Le problème invoqué par ses parents pour consulter : il refuse d’aller à l’école depuis 2 ans.
La majorité des psychologues, en France et, dans une moindre mesure, dans les autres pays d’Europe, son toujours prisonniers du vieux paradigme-maître qui a organisé la pensée et l’action des scientifiques, puis de l’ensemble des praticiens, depuis trois siècles : le paradigme mécaniciste. Les outils pour la pensée et pour l’action dont ils disposent sont donc très réduits et d’une grande pauvreté : réductionnisme, causalité linéaire, causalité précédentielle.
Le psychologue réductionniste se penche donc sur le cas de Robert et lui cherche une difficulté psychique (s’il est d’obédience humaniste) ou comportementale (s’il est d’obédience comportementaliste) personnelle, pour la simple raison qu’il ne peut en imaginer d’autres, qui ne soient ni psychiques, ni comportementale, ni personnelles : pour ainsi refuser d’aller à l’école depuis 2 ans, en se montrant angoissé, agité, affolé, quand ses parents veulent l’y forcer, il est évident que Robert est malade.
Le psychologue réductionniste procédera donc comme il se doit à une évaluation de l’état psychologique de Robert.
Si les seuls outils évaluatifs dont il dispose sont des tests d’intelligence et de personnalité, ou encore des échelles d’angoisse et d’estime de soi, il fera donc passer à Robert sa batterie de tests.
Il se trouve que Robert, quand je l’ai rencontré, était déjà passé entre les mains d’un psy humaniste et d’un psy comportementaliste, sans résultat aucun.
Les diverse batteries de test avaient, en l’occurrence, montré que Robert était un garçon intelligent, qu’il n’était pas psychotique et qu’il ne montrait aucune pathologie évidente.
Espérons que ces psychologues avaient, avant tous ses tests, procédé à une anamnèse très soigneuse, anamnèse réductionniste pisqu’ils n’en connaissent pas d’autre forme : en effet, il peut y avoir un nombre important et très divers de raisons pour refuser d’aller à l’école.
Au cours de l’entretien d’anamnèse, ce psychologue aura dû renseigner plusieurs niveaux :
- peur, liée à un racket, à un harcèlement physique ou moral à l’école (autres élèves, enseignant : bouc émissaire)
- posture sociopathique (rien à foutre de l’école)
- comportement schizophrénique
- comportement psychopathique (fugues, délinquance, drogue)
C’est seulement après avoir éliminé ces possibles que le psychologue commence à penser « phobie scolaire », puisque Robert refuse d’aller à l’école et adopte des comportements d’angoisse quand on l’y incite.
Le problème est que ce type de « phobie » ne nécessite en aucune façon une « structure » phobique.
Remarquons au passage qu’une bonne anamnèse, dans ce genre de difficultés, rend très souvent superflu le passage par une batterie de tests. Mais une bonne anamnèse implique des connaissances suffisamment approfondies en psychopathologie.
Je vous l’ai dit, pour un psychologue réductionniste, Robert est phobique, donc malade.
Effectivement, ses parents pourront dire que, à chaque fois qu’ils tentent de le conduire à l’école, il montre des crises de panique suffisamment impressionnantes pour qu’ils le ramènent très vite à la maison.
Ils diront aussi que Robert, à la maison, est gentil et serviable, qu’il accepte de faire du vélo dans le quartier et même, le week-end, d’aller jouer au foot avec son père. Ces détails, associés à l’élimination des possibles précédemment énumérés, suffiront au psychologue réductionniste pour qu’il verrouille son diagnostic : phobie scolaire, sans qu’il puisse évoquer l’agoraphobie puisque Robert sort volontiers de la maison si ce n’est pour l’école.
A la lumière des résultats de son évaluation, le psychologue réductionniste suggérera un mode d’action visant l’enfant, par exemple une psychothérapie psychanalytique ou du psychodrame s’il est d’obédience humaniste, ou cognitivo-comportementale s’il est d’obédience comportementaliste.
Concernant Robert, les batteries de tests, une série d’entretiens psychologiques individuels de mode psychanalytique, puis une tentative de thérapie cognitivo- comportementale à base confrontation progressive à l’objet jugé phobogène, l’école, n’ont apporté aucun résultat : Robert campe toujours dans la maison familiale.
Le psychologue systémicien, avant de se pencher sur l’intrapsychique, explore les interactions au sein de la famille, ainsi que les contextes familiaux élargis et professionnels des parents. Il agit ainsi pour des raisons extrêmement précises, fondées sur une modélisation rigoureuse que nous allons étudier de fond en comble durant ce semestre.
Pour ces raisons, l’exploration d’un trouble allégué se fait toujours en réunissant toute la famille nucléaire et avec sa collaboration active ; on parle d’évaluation d’une difficulté familiale.
Dans le cas de Robert, les thérapeutes familiaux consultés après l’échec de la thérapie individuelle aboutiront au même diagnostic que leurs confrères : phobie scolaire.
Alors, me direz-vous, où est la différence ?
Elle est assez considérable.
D’abord, un thérapeute systémicien ne sépare jamais l’action d’évaluation de l’action thérapeutique, de telle façon qu’il s’agit toujours de co-évaluation dans la mesure où le thérapeute ne cherche pas à acquérir de l’information pour lui, mais à co-produire de l’information pour l’ensemble du système, c'est-à-dire la famille + le thérapeute.
Contrairement au thérapeute cartésien, qui pense pouvoir observer et évaluer en toute objectivité et en toute neutralité, c'est-à-dire en position d’observateur extérieur, le thérapeute systémicien pense que cela est tout simplement illusoire : pour lui, l’objectivité est une illusion, dans la mesure où les descriptions que nous pouvons faire d’un autre, comportent nécessairement la description de nos propres caractéristiques. Ce que nous décrivons n’est pas un état propre à l’individu qui est en face de nous : ce n’est d’ailleurs pas du tout un état. Ce que nous décrivons, en fait, est une interaction dans laquelle nous sommes inséré en tant qu’acteur, ce que nous décrivons est, dans tous les cas, un rapport.
En somme, nous nous décrivons participant à un processus auquel participent d’autres êtres, le tout dans un contexte particulier qui nous englobe ensemble.
Le thérapeute systémicien considère donc que, dès lors qu’il est couplé avec un individu, un couple, une famille ou une équipe éducative ou soignante, qu’il le veuille ou non, ce qu’il peut décrire est déjà l’histoire d’un couplage.
Rappelez-vous, pour celles et ceux qui ont subi mes cours de L2 : A influence B qui influence A, A et B étant dans le même temps influencés par C le contexte dans lequel ils sont insérés.
Nous reviendrons en détail sur ces choses complexes, qui sont fondamentales en psychologie systémique.
J’ai rencontré la famille de Robert dans un contexte particulier : ils en étaient à leur 9ième séance de thérapie familiale systémique, ça se passait en Italie dans un centre de formation spécialisé dans la thérapie systémique où j’avais été invité en tant qu’expert formateur, pour parler de la phobie scolaire et on m’avait demandé d’assurer une séance avec cette famille, avec leur accord bien entendu. Séance destinée à être filmée et visionnée le lendemain avec les élèves thérapeutes.
Le travail fait avec la famille de Robert va nous permettre de montrer ce qu’il est possible de faire avec le support de 2 outils systémiques :
- le génogramme
- le blason
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A présent que vous avez pu expérimenter personnellement les difficultés cliniques et techniques à mettre en pratique ces supports psychothérapeutiques, il nous faut passer aux choses sérieuses en nous donnant une idée du chemin, passionnant, à parcourir pour devenir des professionnels conséquents.
Revenons à cette remarque de Gregory Bateson :
« Le soi-disant spécialiste en sciences du comportement, qui ignore tout de la structure fondamentale de la science et de 3000 ans de réflexion philosophique et humaniste sur l’homme - qui ne peut définir, par exemple, ni ce qu’est l’entropie ni ce qu’est un sacrement - ferait mieux de se tenir tranquille, au lieu d’ajouter sa contribution à la jungle actuelle des hypothèses bâclées. »
Bateson G. 1977 : Vers une écologie de l’esprit 1, p. 17
Dans son superbe ouvrage La nature et la pensée (1979), Bateson souligne deux problèmes récurrents :
- « ce sont toujours les idées simplifiées à l’extrême qui finissent par supplanter celles qui sont complexes (…) » (p.14)
-
Et, parce qu’il remarquait chez beaucoup de ses étudiants :
« l’absence de certains outils de pensée » (p. 31)
il ajoutait une chose très importante, tout particulièrement pour la psychologie française qui se perd dans ses singeries pseudo-scientifiques :
- « ceux qui n’imaginent même pas qu’il soit possible de se tromper ne peuvent rien apprendre, sinon du savoir-faire. » (p. 32)
Ce sont là deux problèmes majeurs et récurrents en psychologie :
- le complexe y est systématiquement écarté au bénéfice d’idées simplifiées à l’extrême. Même la psychanalyse, en entrant à l’université, y a été transformée un jeu de cartes simpliste dans lequel, avec 5 ou 6 cartes, vous expliquez le monde. Le modèle comportemental en est un autre exemple, particulièrement criant ;
- les contenus des enseignements y sont le plus souvent donnés comme la description de la réalité ou comme la vérité sur l’humain et non pas comme le fruit de modèles ;
A partir de quoi la plupart des jeunes psychologues se trouvent cruellement démunis en termes d’outils de pensée, face à la complexité des tâches auxquelles ils sont confrontés : ils se rabattent sur des postures de pouvoir ridicules et indignes, essentiellement à base d’interprétations psychanalytiques sauvages ou de jargon DSM4, et ils apprennent très vite à sa cacher dans leur bureau, en recevant sur RV pour éviter toute surprise...
Tout ça pour vous dire que la thérapie systémique, qui puise sa pensée et ses outils dans les modèles de la complexité, ne supporte pas la pensée molle et la médiocrité technique ; elle ne supporte pas non plus les exécutants, les gens qui se prennent pour l’instrument d’un instrument. Elle implique qu’on se définisse clairement en responsable de ses pensées et de ses actes.
Pour la pratiquer honnêtement, il est donc nécessaire de faire préalablement un chemin intellectuel, émotionnel et affectif assez considérable et de se préparer à renoncer à s’appuyer sur des quelconques « vérités ».
Précisons d’emblée que ce cours ne vous transformera pas en thérapeutes systémiciens : l’université n’a pas du tout les moyens d’assumer une autre ambition que celle d’enseigner des théories, quelques rares techniques et de fournir un diplôme de psychologie… rien d’autre et surtout pas former des psychothérapeute, prétendre l’inverse relèverait d’une profonde malhonnêteté.
Ce que je vous propose ici, n’a donc pas d’autre ambition que de vous donner une culture sur l’approche systémique et de vous faire toucher du doigt quelques éléments techniques conçus et utilisés par les thérapeutes systémiciens, en suivant les chemins par lesquels sont passés les différents modélisateurs de la systémique.
La psychologie clinique aujourd’hui.
Un mot, d’abord, sur le terme « clinique ». L’université lui a fait englober une impressionnante quantité de pratiques : il peut désigner des pratiques quantitatives, certes utiles dans la validation des pratiques psychothérapeutiques, mais n’ayant rien à voir avec la pratique concrète du psychothérapeute et du psychologue praticien, celle des psychologues de terrain que vous serez bientôt si vous le souhaitez.
« Clinique » vient du grec « klinikos » : qui concerne le lit. La clinique se fait au lit du malade ou, tout au moins, face à un malade. Un examen clinique s’établit dans une relation directe avec le malade et les signes cliniques sont ceux qui se donnent à voir au cours de cette relation.
Ce qu’on appelle « science moderne » désigne un modèle scientifique apparu au 18ième siècle et qui est en train de mourir de sa belle mort (sauf chez ceux que Kuhn appelle « les scientifiques normaux »), et qui développait l’idée que nous avons un accès direct au réel, que ce que la science décrit, ce sont les objets du vrai monde tels qu’ils sont « en soi », c'est-à-dire en dehors de toute observation : c’est ce qu’on appelle le « réalisme » scientifique.
De nos jours, les sciences de pointe ont abandonné cette posture « réaliste » que la logique, l’épistémologie, la neurobiologie et surtout la physique quantique ont trop sérieusement démontée et discréditée.
Seuls quelques « scientifiques normaux » persistent à préférer « les idées simplifiées à l’extrême (à) celles qui sont complexes ». C’est le cas de la psychologie moderne, qui semble être un des derniers bastions du « réalisme » en science : les appels insistants du CNRS pour que les sciences humaines et sociales s’ouvrent enfin aux modèles de la complexité :
Projet d'établissement 2002 du CNRS français :
« S'attacher à la complexité (…) c'est reconnaître que la modélisation se construit comme un point de vue pris sur le réel, à partir duquel un travail de mise en ordre, partiel et continuellement remaniable, peut être mis en œuvre ».
ces appels restent sans réponse en psychologie où l’on persiste à singer depuis plus d’un siècle un modèle physicaliste aujourd’hui obsolète, dans le but de se donner une légitimation scientifique. Curieusement, ce que la physique a fait depuis cinquante années avec la physique quantique, la psychologie se montre totalement incapable de l’intégrer.
En effet, les deux paradigmes qui dominent actuellement la psychologie universitaire tombent malheureusement sous le coup de la critique de Bateson, dans la mesure où, effectivement, « ce sont toujours les idées simplifiées à l’extrême qui finissent par supplanter celles qui sont complexes » :
- D’un côté, nous avons le paradigme partagé par la psychologie sociale expérimentale et la psychologie cognitivo-comportementale, paradigme qu’on peut résumer en 3 mots : « le cerveau traite de l’information » ; ce paradigme se montre trop faible pour saisir la complexité humaine (il ignore tout de l’immense débat qui agite la recherche anglo-saxonne en neurocognition, avec des auteurs comme Quine, Fodor, Varela, Dennett, Putnam, Petitot, Searle, von Foerster, Minsky, Dupuy, Edelman… et j’en oublie), et surtout, il n’offre aucune réflexion sur ce que recouvre le terme « information ».
- et d’un autre côté nous avons le paradigme de l’inconscient freudien, superbe modèle pour certains niveaux des fonctionnements humains dans la culture occidentale, mais trop souvent présenté comme décrivant la réalité générale et universelle de l’humain (même posture que le « réalisme » scientifique) et comme capable d’englober tout l’univers de la clinique humaine, sociale, politique et culturelle, autour des notions de libido, d’inconscient et d’intrapsychique.
La lutte à mort que ces deux modèles se livrent actuellement, en particuliers en France, illustre paradoxalement ceci que, en fait, ils jouent dans la même cour, obéissent aux mêmes logiques et prétendent occuper les mêmes plates-bandes.
Ces univers théorico-pratiques, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et développés, se montrent incapables de nous offrir les moyens de production de modèles et de concepts à la hauteur de la complexité que leurs propres progrès nous fait entrevoir :
- complexité des rapports entre le fait neural et le fait mental,
- complexité des rapports entre le fait mental et le fait interactionnel,
- complexité des rapports entre le fait mental, le fait interactionnel et le langage humain,
- complexité des rapports entre le fait somatique et le fait psychique,
- complexité des rapports entre l’humain et son écosystème,
- complexité des rapports entre l’organisation psychique des individus et l’organisation sociétale (économique, politique, religieuse et sociale).
J’espère que vous trouverez dans ce cours un certain nombre de pistes éclairant chacune de ces questions.
L’approche systémique de la schizophrénie :
le modèle de Palo-Alto,
naissance de la thérapie systémique.
Tout commence avec les travaux de Gregory Bateson sur les logiques de la communication. Il recrute Jay Haley, John Weakland et Don Jackson, et la petite équipe s’oriente vers l’observation des paradoxes communicationnels repérables dans le discours des schizophrènes, puis des familles à transaction schizophrénique. Ils aboutissent à la création d’un concept : le concept de double bind, puis à la mise en évidence de règles caractéristiques des interactions schizophrénigènes.
Vous le savez, Gregory Bateson n’était pas psychologue, ni psychiatre : il était anthropologue et logicien. C’est en abordant la schizophrénie sur le plan des logiques communicationnelles, qu’il a totalement renouvelé la question.
Les logiques communicationnelles sont évidemment des logiques d’influence réciproques ; à partir de ce modèle, Bateson et ses collègue voient des choses qui se passent entre les gens et ils délaissent ce qui se passe dans les gens. Ils constatent les gens, dès lors qu’ils sont couplés, ne peuvent pas faire autre chose que communiquer, qu’ils ne veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non, qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de s’influencer mutuellement, qu’ils ne veuillent ou non, qu’ils le sachent ou non.
Ils mettent ceci en évidence, que les humains sont reliés entre eux par le phénomène de communication, de sorte que chaque humain est une partie composante de plusieurs systèmes eux-mêmes reliés entre eux. Pour eux, il n’est donc pas nécessaire de savoir ce que pense un humain pour comprendre ses actions, car les tenants et aboutissants de la plupart de ses actions et comportements sont déterminés par des règles qui lui échappent. Ces règles étant des règles communicationnelles.
Il s’attachent donc, en tant que chercheurs, à décrire les différents modes de communications utilisés par les humains, et évaluer les types d’effets ainsi produits à leur su ou à leur insu sur eux-mêmes et sur les autres membres du même système.
C’était les débuts de ce qu’on appelle aujourd’hui la thérapie systémique, et ça se passait à l’institut de recherches mentales de Palo-Alto.
Les logiques de la communication.
Dans un article fondamental : « vers une théorie de la schizophrénie » (1956), Gregory Bateson, Don Jackson, Jay Haley et John Weakland proposent les éléments d’une théorie générale de la communication humaine en 5 points :
1. La ponctuation interniveaux.
Les humains combinent en permanence trois niveaux logiques de communication, trois canaux :
- digital : le langage verbal
- analogique : la communication non verbale, gestuelle, mimique, prosodie (proxémique)
- contextuel : le milieu physique, l’espace émotionnel, symbolique, au sein desquels se déroule la séquence.
En d’autres termes, les mêmes mots, selon qu’ils sont associés à telle mimique, telle gestuelle, dans tel ou tel contexte, engageront des significations extrêmement différentes.
Les différents niveaux se ponctuent mutuellement et c’est de cette ponctuation qu’émergent des significations entre les interlocuteurs et que chacun d’entre eux produit du sens.
2. L’humour.
Il émerge d’un usage particulier de différents niveaux logiques, en général un niveau littéral et un niveau métaphorique. « le moment explosif de l’humour est celui où la classification d’une modalité de communication subit une dissolution et une re-synthèse » (p 11).
Par exemple :
« A la mort de son troisième mari, ses cheveux, de chagrin, sont devenu blonds ».
Ou encore :
« Etre témoin de Jéhovah ? Impossible, je n’ai pas vu l’accident ! »
Ou encore :
« Mon père, vous n’avez rien contre les rapports sexuels avant le mariage ? »
« Non, du moment que la cérémonie commence à l’heure ! »
Ou encore :
« Je voudrais acheter un téléphone portable ! »
« SFR ? »
« Non a sais pas faire mais a peux apprendre ! »
Vous voyez que, dans chacun des exemples, la classification d’une modalité de communication subit une dissolution : il y a le rapport entre mort du mari, le troisième, c’est vraiment la scoumoune, le chagrin, les cheveux dont on a déjà anticipé qu’ils sont devenus blancs : ça, c’est pour l’insistance dans une classe logique précise : celle dans laquelle nous rangeons les deuils et la souffrance morale… puis la chute, inattendue qui dissout et re-synthétise l’ensemble dans un jeu entre deux classes logiques antagonistes : le blond, qui nous arrache soudain à une logique de deuil et de malchance pour nous projeter dans une classe logique inverse… de la classe logique du deuil et du chagrin, nous passons en un éclair à la classe logique de la fiesta et de l’insouciance.
Je vous laisse le soin d’analyser les deux autres phrases.
3. La falsification des signaux d’identification des modes de communication.
Il s’agit d’un processus interactionnel extrêmement puissant et d’usage constant chez chacun d’entre nous de régulation sociale de la relation, en particulier dans l’expression des émotions, à travers les rituels sociaux, les rituels de politesse par exemple. Les modalités de falsification des signaux d’identification des modes de communication sont très largement prescrites par l’ethos de la culture concernée, elle est donc le plus souvent non consciente. Il existe un niveau conscient de falsification très couramment utilisé par les humains dans leur quotidien, par exemple lorsque nous simulons l’amitié pour manipuler notre prochain, faisons semblant de nous amuser des bons mots du prof pour nous attirer ses bonnes grâces, etc.
4. L’apprentissage.
Tout apprentissage est un phénomène de communication. Les comportements, les attitudes, les manières de raisonner, de ressentir, émergent d’apprentissages familiaux, culturels et sociaux, c'est à dire d’expériences suffisamment répétitives pour devenir des habitudes.
Bateson fonde sa théorie de l’apprentissage sur la théorie des types logiques de Russell.
Souvenez-vous : dans un discours logique suffisamment formel :
- aucune classe ne peut être membre d’elle-même : par exemple, la classe des livres n’est pas un livre et la carte des desserts n’est un dessert. le nom n’est pas la chose qu’il nomme.
- et une classe de classe ne peut pas être l’une des classes qui sont ses membres. Par exemple, au restaurant, la liste des entrées, celle des plats de résistance, celle des fromages et celle des desserts ne sont pas le menu : elles sont autant de classes dont le menu est la classe de classes. Le menu n’est ni un fromage ni un dessert, pas plus que la carte des desserts n’est un dessert. Quant à savoir si les entités que sont le Bleu de Bresse ou le Comté appartiennent à la classe des fromages…
De même, il n’est pas logiquement correct de mettre dans la même classe un classe et les éléments qui sont ses non-membres.
Identifier la classe des livres permet de distinguer les livres de ce qu’ils ne sont pas ; cela nous permet de remarquer facilement que les disques, les tables, les voitures, etc., font partie d’une très vaste classe qui est celle des non-livres. Mais bien sûr, la classe des livres ne peut pas être considérée comme faisant partie des éléments qui constituent la classe des non-livres.
Contrevenir à cet ordonnancement logique produit des paradoxes, dont les effets, nous le verrons peuvent être divers mais toujours significatifs.
Nous retiendrons quatre niveaux dans les catégories de l’apprentissage :
Apprentissage de niveau 0 :
Il implique un lien rigide entre le signal et la réponse.
Il s'agit donc d'un acte d’apprentissage non-susceptible d'être corrigé, puisqu'il n'y a pas de confrontation entre les moments de réponse 2, 3, 4... et le moment de réponse 1.
Après le moment 1, Il n'y a plus production d'information dans l'apprentissage. Le modèle de l’apprentissage de niveau 0 a été fondé par Konrad Lorenz dans son article princepts : «le Compagnon dans la vie de l’oiseau » (« Der Kumpan in der Umwelt des Vogels », in Journal für Ornithologie , 1935) avec ses concepts de « mécanisme inné de déclenchement » (M.I.D.) et d’« empreinte ».
Il s’agit donc d’une forme fixe et rigide d’apprentissage, informé une fois pour toute.
Apprentissage de niveau 1 :
Le lien entre signal et réponse est modifiable.
Il s'agit donc d'un acte d’apprentissage susceptible d'être corrigé : il y a confrontation entre les moments de réponse 2, 3, 4... et le moment 1.
Cet apprentissage est lié à la démarche « essai / erreur » et « récompense / punition ».
C'est le modèle du conditionnement opérant et du conditionnement pavlovien.
C'est aussi l'apprentissage "par coeur".
Il y a donc production d’information dans l'apprentissage.
Apprentissage de niveau 2 ou deutéro-apprentissage :
Le sujet soumis à l'apprentissage 1, finit par produire des informations sur son apprentissage. Il apprend à apprendre et réorganise sa mémoire de façon plus économique, à travers des habitudes comportementales, cognitives, émotionnelles et intellectuelles, à travers le processus universel de catégorisation.
L'apprentissage niveau 2 consiste en la production d'informations sur les structures stables de l'apprentissage 1.
Apprentissage de niveau 3 :
Il consiste à sortir du cadre dans lequel se produisent les apprentissages 0, 1 et 2.
Il consiste donc en la production d'informations sur les contextes des structures de l'apprentissage.
Il s'agit d’un renversement perceptif, tel que la mise en perspective d’un paradigme avec un autre paradigme, de l’intégration d’un cadre dans un autre cadre. C’est un changement de croyance, un renversement d’habitudes comportementales, cognitives, émotionnelles et intellectuelles., tel qu’il peut survenir dans une thérapie qui marche bien.
Contrairement à ce que l’idéologie mécaniste tend à nous faire penser, l’apprentissage ne constitue pas le territoire exclusif de la pédagogie et de l’éducation : la vie d’un système vivant se résume en effet en une combinaison sans fin d’apprentissages de niveaux divers. Cesser d’apprendre, pour un système vivant, c’est mourir.
5. Les niveaux multiples d’apprentissage et la classification logique des signaux.
Ce sont deux phénomènes inséparables l’un de l’autre. La capacité à manier et à classer des types et des niveaux multiples d’apprentissages et les signaux relève d’un apprentissage. « Cet apprentissage définit précisément le processus de distinction des modes de communication, ou bien à l’intérieur du soi, ou bien entre le soi et les autres. » (Bateson p 12)
Bateson attire notre attention sur ceci que la complexité-même des emboîtements possibles entre ces cinq niveaux d’effectuation de la communication implique qu’elle soit le lieu quasi-permanent de paradoxes communicationnels.
Ce sont en fait les paradoxes communicationnels –les jeux avec ces cinq niveaux- qui sont la richesse indéfiniment créative du langage humain. Il est assez facile d’imaginer qu’un langage dénué de tout paradoxe communicationnel ne serait qu’une suite d’énoncés triviaux générateurs d’une pensée et d’une action pauvre.
Cela dit, avec le cinquième point (Les niveaux multiples d’apprentissage et la classification logique des signaux), Bateson souligne la nécessité, pour chacun d’entre nous, de posséder un module interne « théorie des types »… jouer, d’accord, mais en connaissant suffisamment les règles du jeu, c'est-à-dire les logiques qui président aux conditions de possibilité des emboîtements !
La communication schizophrénique.
Lorsqu’on communique avec un schizophrène en voie de chronicisation ou chronicisé, on voit qu’il semble montrer des difficultés dans la classification logique des signaux, à trois niveaux :
- difficulté à attribuer le bon mode de communication aux messages verbaux et non verbaux qu’il reçoit des autres ;
- difficulté à attribuer le bon mode de communication aux messages, verbaux et non verbaux qu’il émet lui-même ;
- difficulté à attribuer le bon mode de communication à ses propres pensées, sensations, perceptions.
En d’autres termes, il manifeste « un trouble de la capacité d’identifier et d’interpréter cette classe de signaux qui nous indiquent à quelle sorte de message appartient le message que nous recevons. » (Bateson Eco2 p. 35)
Il montre donc une confusion au niveau métacommunicatif, liée à une incapacité à distinguer les différents types logiques en jeu dans le processus de communication.
« pour confondre les types logiques, on doit être assez intelligent pour s’apercevoir que quelque chose ne va pas, mais pas assez pour comprendre précisément ce qui ne va pas. » (Bateson Eco2 p. 38)
Une petite révision de vos cours de psychopathologie :
La psychiatrie traditionnelle, avec Kraepelin, décrit trois formes de schizophrénie :
- la schizophrénie paranoïde : c’est la forme délirante qui se manifeste à travers un délire peu systématisé (contrairement au paranoïaque), un syndrome d’automatisme mental qui consiste en un sentiment de dédoublement qui se traduit, pour la personne concernée, par la certitude qu’on vole sa pensée, ou qu’on la devine, ou qu’on répète en écho sa pensée, ou qu’on commente ses actes, ou encore qu’on lui impose des actes et des comportements.
- l’hébéphrénie : c’est la forme pseudo-démentielle qui se manifeste par une sorte d’appauvrissement global des émotions, de l’intellect, des intérêts sociaux et culturels
- la schizophrénie catatonique : c’est la forme motrice qui se manifeste par une suspension de l’action : la personne s’immobilise et peut rester suspendue dans la même position durant des heures
Aujourd’hui, la psychiatrie biologique retient deux grandes formes :
- une forme productive (type 1), caractérisée par des délires, des hallucinations, une dégradation intellectuelle limitée et un pronostic favorable.
- une forme déficitaire (type 2) caractérisée par des symptômes d’émoussement affectif, d’aboulie et de pauvreté du discours, avec évolution vers la chronicité et pronostic défavorable.
De la sémiologie classique de la schizophrénie, il est très important de retenir le syndrome princeps de la schizophrénie : le syndrome d’automatisme mental. Le sujet entend dans sa tête des voix qu’il pense venir de l’extérieur et qui ordonnent, insultent, répètent ses pensées en écho, les commentent, etc.
Gregory Bateson et le double bind.
Aussi curieux que cela paraisse, les seuls éléments dont il a pu être vérifié qu’ils sont présents de manière très significative et systématique dans le fonctionnement schizophrénique, sont des comportements logiques familiaux qui ont été mesurés en termes de « communication deviance » et de « exprimed emotion ». Ces deux marqueurs permettent de deviner en aveugle avec un taux de réussite de 80% si une famille comporte un schizophrène.
Lire :
Hendrick S. 2002 : Familles de schizophrènes et perturbations de la communication : la communication déviante, le point de la recherche et son apport à la théorie familiale systémique. In Thérapie familiale 2002 vol. 23 n° 4.
Gaillard J-P. 2003. Apprendre et désapprendre la schizophrénie: éléments théoriques et techniques pour de nouvelles pratiques en thérapie de la schizophrénie. 18 pages in revue Perspectives psychiatriques Vol. 42 n°2 avril-juin 2003
La description des logiques de la communication, associée aux particularités visibles dans la communication schizophrénique, a conduit Bateson et ses collègues à observer plus finement les communications au sein des familles comprenant un schizophrène.
Nous savons que pour distinguer entre les modes de communication, les humains s’appuient sur les contextes : c’est donc à ce niveaux, celui des habitudes mentales acquises dans la communication, que Bateson focalise son observation.
Il va supposer que les comportements schizophréniques sont liés à « un univers où les séquences d’événements sont telles que des habitudes non conventionnelles de communication y sont, dans une certaine mesure, appropriées. » (p 14)
Vous remarquerez qu’il n’a alors plus besoin de l’hypothèse classique d’une expérience traumatique spécifique dans l’enfance.
Ce que Gregory Bateson, Don Jackson, Jay Haley et John Weakland ont alors pu observer peut se résumer en six points :
a) deux personnes ou plus, en général les membres d’une famille ;
b) une expérience répétée au quotidien ;
c) une injonction négative primaire du type : « ne fais pas ceci ou je te punirai » ou « si tu ne fais pas ceci je te punirai » ;
d) une injonction secondaire qui contredit la première à un autre niveau, plus abstrait, tout en étant, comme elle, renforcée par des signaux menaçant. Cette injonction secondaire est plus difficile à décrire que la primaire, parce qu’elle est en général de mode analogique c'est à dire non verbal. Par exemple, on associera à « ne fais pas ceci ou je te punirai », un message analogique indiquant « mais tu dois le faire quand même » ou « ne considère pas ça comme une punition » ou encore « ne pense pas à ce que tu ne dois pas faire ».
e) Une injonction négative tertiaire en forme de basse continue, qui interdit aux sujets d’échapper à la situation. Par exemple : « tu ne peux pas exister en dehors de la famille » ou « le monde extérieur est si dangereux que ton seul salut est la famille », etc.
f) L’observation montre qu’une fois l’apprentissage acquis, l’ensemble des séquences n’est plus nécessaire pour que le double bind fonctionne : dans le comportement schizophrénique chronique, il devient le contexte implicite de toute communication et les injonctions négatives secondaire et tertiaire peuvent même être véhiculées par des hallucinations auditives.
Quant aux effets du double bind, nous pouvons les commenter en cinq points :
a) la relation affectivement et émotionnellement intense dans laquelle se déroule la séquence implique qu’il est vital pour les sujets concernés de déterminer avec assez de précision le type de message qui leur est adressé, pour y répondre de façon appropriée ;
b) les sujets sont pris dans une situation dans laquelle leurs proches émettent deux messages dont l’un contredit l’autre, associés à un troisième qui interdit la fuite ;
c) il sont donc dans l’incapacité de métacommuniquer, c'est-à-dire de commenter ou d’interroger sur les messages qui leur sont transmis, afin de choisir le niveau auquel ils doivent répondre ;
d) Ils entrent alors dans un état de perplexité dont ils vont chercher à sortir au plus vite (c’est ce que nous faisons à chaque fois que nous entrons dans un état de perplexité) ;
e) Pour sortir de cet état, ils vont passer par ce qu’on appelle un phénomène d’échappement, dans tous les cas, concernant l’enfant, une métaphore au niveau littéral, parlée ou agie, c'est à dire une métaphore non étiquetée de la situation. Cela ressemblera à de l’humour (rappelez-vous ce que nous en avons dit) mais ce n’en sera pas, simplement parce que ni le contexte, ni l’interlocuteur ne le connoteront comme trait d’humour. Au contraire, cette réaction de défense par l’usage d’une métaphore non étiquetée, souvent agie plutôt que parlée, sera étiquetée (par la famille, puis par les psys) comme comportement inapproprié, donc fou.
Il faut insister sur le fait que le double bind est un processus enactif, c'est-à-dire une co-construction interactionnelle de type circulaire, dans lequel les acteurs sont non conscients de leurs actes et des effets de leurs actes. Par exemple :
- un enfant rentre de l’école, entre au salon et y trouve sa mère en conversation avec une amie qu’il ne connaît pas ;
- il marque donc une hésitation sur le pas de la porte ;
- sa mère lui dit alors : « tu ne viens pas m’embrasser ? » (injonction primaire du point de vue de l’enfant, mais son hésitation devant la porte constituait pour la mère un paradoxe communicationnel de type : « je t’aime, mais je ne t’aime pas »)
- il approche, tend ses lèvres vers la joue de sa mère ;
- elle ébauche alors un geste de retrait de la tête (injonction secondaire du point de vue de l’enfant) parfaitement non conscient, qui peut être lié au soucis de son maquillage, ou à la gène devant son interlocutrice, ou encore à une phobie du toucher ;
- l’enfant rendu perplexe par le caractère contradictoire des deux messages et ne pouvant pas fuir la situation, utilise une métaphore littérale du baiser qu’il ne peut pas donner : « tu as une belle broche, maman ».
- la mère, pour qui cette perplexité constitue un second paradoxe communicationnel (« à la place d’un baiser je te raconte un truc incompréhensible sur tes bijoux ») ponctue alors le comportement de son fils en exprimant ce qu’elle ressent consciemment : « décidément cet enfant n’est pas tendre (ou bizarre) ! »
Ce type de séquence en forme de quiproquo et de tentative d’ajustement au quiproquo, intervient finalement assez fréquemment entre humains, sans pour autant produire de la schizophrénie.
Il est possible d’identifier quatre différences fondamentales qui président à sa mise en toxicité circulaire :
- la tonalité émotionnelle constamment élevée comme contexte stable,
- l’impossibilité de métacommuniquer,
- l’impossibilité pour les protagonistes de sortir du jeu,
- la récurrence quotidienne sur le long terme de ce type d’interaction dans ces conditions, qui conditionne un apprentissage d’apprentissage (un deutéro-apprentissage).
Nous participons tous assez fréquemment à ce type de séquence dans la vie courante, sans dommage aucun pour nos interlocuteurs ou pour nous-mêmes : les jeux inévitables de triangulations intra-familiales et intra-institutionnelles en génèrent quotidiennement. Les comportements schizophréniques n’apparaîtraient que sur un fond de récurrence soutenue de ces séquences et à partir d’un deutéro-apprentissage, c'est à dire une action de catégorisation observable en termes d’habitude de communiquer sur ce mode, associée, nous l’avons dit, à une interdiction efficace de fuir la relation (injonction négative tertiaire) et de métacommuniquer sur cet apprentissage. Hors de ces conditions, il n’y a aucun problème.
Les comportements proprement schizophréniques, tels qu’ils sont listés dans les ouvrages de pathologie, n’apparaissent le plus généralement qu’entre 17 et 24 ans. C’est à cette époque seulement que, enfin étiqueté « schizophrène » le jeune homme ou la jeune fille va radicaliser son jeu. Mais que s’est-il passé, qui puisse éclairer cette constante d’age ?
Le développement de l’humain.
Les psychologues se montrent fort prolixes en matière de développement de l’enfant et semblent considérer que l’age adulte étant atteint, la notion de développement n’est plus pertinente pour décrire ce qu’ils observent. Il est vrai que le développement de l’enfant se situe dans une phase très explicitement sensible des apprentissages.
Cependant, la survenue quasi-systématique des comportements schizophréniques entre 17 et 24 ans pourrait souligner, nous semble-t-il (ceci n’est pas une hypothèse Batesonienne mais personnelle), une autre phase sensible dans l’apprentissage humain. C’est à cet age, en effet, que certains humains (1% environ : documentation. française 1990) montrent ce que Bateson et all. ont décrit dans « Les niveaux multiples d’apprentissage et la classification logique des signaux ». (…) « Cet apprentissage, ajoutent-ils, définit précisément le processus de distinction des modes de communication, ou bien à l’intérieur du soi, ou bien entre le soi et les autres. » (Bateson 1956 p 12).
Seules les structures de Skills, proposées par Kurt Fischer qui est un chercheur néo-piagetien (Fischer 1980), décrivent les processus que nous évoquons ici en des termes fort proches. Fischer décrit en effet, dans les périodes 17-24 ans, le développement d’un niveau « abstrait » comprenant les sous-niveaux :
- 8 : appariements abstraits,
- 9 : systèmes abstraits,
- 10 : systèmes de systèmes abstraits.
Précisément, ce que Bateson et all définissent comme « niveaux multiples d’apprentissage et classification logique des signaux (…) c'est-à-dire comme apprentissage des « processus de distinction des modes de communication, ou bien à l’intérieur du soi, ou bien entre le soi et les autres. », consiste bien en ce vaste processus de catégorisation symbolico-comportementale décrit par Fischer.
Apprentissage des comportements schizophréniques.
Ainsi, est-il possible d’orienter le travail avec les familles à transaction schizophrénique autour de l’hypothèse selon laquelle l’entrée dans l’age adulte coïncide avec un méta-apprentissage à teneur hautement symbolique, concernant les modes de définition de la relation en société, c'est-à-dire les manières adéquates et redondantes dont on doit se comporter dans les interactions sociales, les manières dont on doit les penser et dont on doit interpréter les comportements de nos interlocuteurs selon une mise en corrélation stable entre faire, dire et contexte ; Cette hypothèse n’a rien de révolutionnaire, puisque le jeune age adulte coïncide avec des remaniement identitaires considérables, générateurs obligés d’un intense travail de mise en perspective et de re-catégorisation entre habitudes et rituels familiaux et habitudes et rituels sociaux, ce travail de comparaison ouvrant nécessairement à l’émergence de nouvelles structures catégorisantes et méta-catégorisantes.
Cette phase de construction logique, dont l’importance ne nous échappe pas concernant le développement de l’espèce humaine, coïncide avec la dernière phase de myélinisation du SNC qui, précisément se déclenche durant la période 17-24 ans
Entre 17 et 24 ans, donc, apparaissent des comportements schizophréniques, c'est-à-dire des propositions d’interactions selon des modes qui ne respectent pas les conventions interactionnelles entre adultes telles qu’elles sont étiquetées.
Un exemple, qui met en scène un patient schizophrène et son psy :
- le psy arrive en retard au RV qu’il a donné à son patient ;
- il s’en excuse ;
- le patient ne peut pas (c’est une habitude prise en famille) hiérarchiser le message analogique « retard » et le message verbal « excuses » ; il ne peut donc pas non plus identifier clairement ses émotions ;
- il entre donc en perplexité et ne peut pas réguler ses émotions en métacommuniquant, c'est-à-dire tout simplement comme vous le feriez, avec par exemple un trait d’humour mi-agressif : « vous n’aviez donc pas envie de me voir aujourd’hui ? », ce qui est une métaphore parfaitement étiquetée ;
- pour sortir de la perplexité (je vous rappelle qu’aucun d’entre nous n’accepte de rester en état de perplexité sans rien faire) et quand même lui faire un reproche tout en annulant son reproche, afin de reprendre le contrôle sur lui, il va donc utiliser une métaphore non étiquetée : « un jour quelqu’un a raté son avion et l’avion s’est écrasé en bout de piste » ;
- soit le thérapeute reconnaît malgré tout une métaphore régulatrice de perplexité, liée à son retard et sait pratiquer la communication schizo, et il a une réponse adéquate, du type : « votre DCA est vraiment au point : chapeau ! », soit il réagit comme un psy classique qui croit que la schizophrénie est dans les individus et non entre eux, et il va dire : « bon, asseyons-nous ! » avec une mimique inquiète ou agacée, en pensant simultanément : « décidément il délire comme un lapin ! », trois niveaux logiques de communication qui constituent ensemble un superbe message de disqualification de celui de son patient. Ce faisant, il va forcer son patient à en rajouter une louche, c'est à dire à « délirer »… et ils en arriveront très vite à Jésus ou aux extra-terrestres.
Lorsqu’on observe une séquence interactionnelle au sein d’une famille à transaction schizophrénique, que voit-on ?
On voit des parents, mais aussi des frères et sœurs, qui se saisissent du message de l’autre et le reclassent, ils changent l’étiquette qui indiquait à quelle sorte de message ce message appartenait. Le plus souvent, ils reclassent le message dans la case « aveu de faiblesse ou d’erreur », ou « agression à leur égard contre laquelle ils se défendent » :
- est-ce que je te laisse des légumes dans le frigo ?
- tu crois peut-être que tu vas m’obliger à te dire ce que je vais faire ce WE ?!
ou encore :
- comment vas-tu ce matin ?
- aurais-tu quelque chose à te reprocher ?
Dans les années qui suivent la parution de cet article fondateur, des auteurs tels que Lidz et Wynne proposent quelques concepts simplificateurs :
- Lidz parle de :
a) schisme dans la famille : les époux ne peuvent pas s’accommoder l’un de l’autre ni établir de réciprocité dans leurs rôles,
b) et de distorsion conjugale : il y a domination pathologique d’un des conjoints. Le dominé devient passif et dépendant et il ne s’oppose pas aux tendances du partenaire dominant.
Ces propositions de modélisation du processus schizophrénique sont en fait très insuffisantes et non spécifiques : on trouve la première dans des situations symptomatiques très diverses, et la seconde procède d’une approche très linéaire et réductrice des interactions dans le couple. On parle plus volontiers aujourd’hui du couple « provocateur actif » / « provocateur passif ».
Bateson et la transcontextualité.
« on notera (dit-il) que notre théorie (de la double contrainte) n’établit pas de distinction entre ces sous-espèces (que sont la schizophrénie, l’humour, l’art, la poésie, etc.). pour elle, rien ne peut permettre de prédire si un individu deviendra clown, poète ou schizophrène, ou bien une combinaison de tout cela. Nous n’avons jamais affaire à un unique syndrome, mais à un « genre » de syndromes, dont la plupart ne sont pas habituellement considérés comme pathologiques.
Je forgerai pour ce genre de syndromes, le mot « transcontextuel ».
Il m’apparaît que les individus dont la vie est enrichie par des dons transcontextuels et ceux qui sont amoindris par des confusions transcontextuelles ont un point commun : ils adoptent toujours (ou du moins souvent) une « double perspective ». Une feuille qui tombe, le salut d’un ami, « une primevère au bord de l’eau », ne sont jamais « seulement ceci et rien d’autre » (…)
Cette double perspective est généralement expliquée, ne serait-ce que partiellement, par l’apprentissage et l’expérience vécue par le sujet.
Il doit naturellement y avoir des facteurs génétiques dans l’étiologie des syndromes transcontextuels ; il agissent, probablement, à des niveaux de notre personnalité plus abstraits que ceux où notre expérience joue. Ainsi, les facteurs génétiques pourraient déterminer la capacité d’apprendre à devenir transcontextuel où, à un niveau encore plus abstrait, la capacité d’acquérir cette capacité. » (idem pour la résistance à cette capacité) » (B2 43-44)
Ce concept de transcontextualité est fondamental, car il permet de structurer le travail psychothérapeutique avec les familles en évitant la tentation de stigmatisation à l’encontre de ces familles qui ne pensent pas « droit ».
Habileté à identifier à quelle sorte de message appartient un message :
« La différence entre la taquinerie et la brimade réside dans la question, non résolue à l’avance, de savoir si la « victime » peut ou non reconnaître qu’il s’agit bien d’une blague. Dans toutes les cultures les individus réussissent à acquérir une extraordinaire habileté, non seulement pour ce qui est d’identifier simplement à quelle sorte de message appartient un message, mais aussi pour ce qui est de démêler la multiplicité des identifications de la sorte de message auquel un message appartient.
Il existe cependant des individus que le surgissement dans le langage des ces niveaux multiples plonge dans le plus grand embarras. Il me semble que cette distribution inégale de la « compétence » peut justement être abordée en terme d’épidémiologie. De quoi un enfant à-t-il besoin pour acquérir -ou ne pas acquérir- la capacité d’interpréter correctement ces signaux ? » (B2 37)
Dans mes propres travaux, j’ai mis en évidence que les candidats aux comportements schizophréniques montraient dès leurs premiers contacts sociaux, c'est-à-dire dans la cour de récréation du CP, des difficultés insurmontables à intégrer ce que j’ai appelé « la règle su lien social ».
Processus d’apprentissages de la schizophrénie :
Lorsque nous avons parlé de la théorie de la communication en cinq points proposée par Bateson et son équipe, nous avons parlé d’apprentissage. Nous allons y revenir, dans la mesure où la théorie de la double-contrainte se fonde sur une théorie du deutéro-apprentissage :
« Tous les systèmes biologiques sont capables de changements adaptatifs (…) Quel que soit le système, les changements adaptatifs dépendent de boucles de rétroactions, qu’elles proviennent de la sélection naturelle ou du renforcement individuel. Dans tous les cas, alors, il devra y avoir un processus d’essai-erreur et un mécanisme de comparaison.
Or, un tel processus d’essai-erreur implique obligatoirement l’erreur, et l’erreur est toujours biologiquement et/ou psychiquement coûteuse. Il s’ensuit que les changement adaptatifs doivent toujours procéder suivant une hiérarchie.
Ainsi sont nécessaires non seulement des changements du premier degré, répondant à la demande immédiate de l’environnement (ou du milieu physiologique), mais également des changements du second degré, qui réduisent le nombre d’essai-erreurs nécessaires pour accomplir les changements du premier degré. En superposant et en entrecroisant un grand nombre de boucles de rétroactions, nous ne nous contentons pas de résoudre des problèmes particuliers ; nous acquérons, en plus, certaines habitudes formelles qui nous servirons à résoudre des classes de problèmes. Il en va de même pour tout autre système biologique.
Nous faisons comme si toute une classe de problèmes pouvait être résolue à partir d’hypothèses et de prémisses en nombre plus limité que les membres de la classe des problèmes. Autrement dit, nous (les organismes) apprenons à apprendre ou, en termes plus techniques, nous sommes capables d’un apprentissage secondaire.
Mais, c’est bien connu, les habitudes sont rigides, et leur rigidité découle d’une nécessité : de leur statut hiérarchique dans la hiérarchie de l’adaptation. L’économie même d’essais et d’erreurs obtenue grâce à la formation des habitudes n’est rendue possible que parce que les habitudes correspondent, comparativement, à ce qu’on appelle, en cybernétique, une programmation stricte (hard program). L’économie consiste précisément à ne pas réexaminer ou redécouvrir les prémisses d’une habitude à chaque fois qu’on fait recours à elle.
(…) l’habitude n’est efficace que dans la mesure où elle se rapporte à des propositions qui ont une valeur générale ou qui se répète, c'est-à-dire des propositions qui ont un assez haut niveau d’abstraction.
(…) les propositions particulières que je crois importantes dans la détermination des syndromes transcontextuels, sont des abstractions formelles qui décrivent et déterminent des relations interpersonnelles. » B2 45-46)
Bateson insiste en outre sur un point important : il n’y a pas à différencier « messages » et « relation » : « ce sont bien les messages qui constituent la relation. (…) il n’y a pas de « choses » dans l’esprit, même pas la dépendance (ni l’hostilité ni l’amour) » (47)
Entrée dans la schizophrénie et réducteur de variété : la centralité et l’indifférenciation subjective.
Un réducteur de variété est une stratégie logico-motivationnelle approximative dont le but est d’assurer à moindre frais la viabilité du système (individu, équipe, institution) qui la développe. Il permet de fonctionner de façon suffisamment viable, à partir de la prise en compte d’un nombre très réduit d’items et sur des modes redondants de schémas mentaux ou habitudes de pensées, le tout s’appuyant sur les processus de catégorisation. Tous les humains en usent constamment, palliant ainsi à leurs limites logico-gognitives face à la complexité des univers dans lesquels ils se meuvent.
Lorsqu’il est possible d’observer une « psychose naissante » (Grivois H. 2001), il apparaît qu’elle s’organise autour de deux axes : la centralité et l’indifférenciation subjective.
La centralité et l’indifférenciation subjective sont typiquement de puissants réducteurs de variété en ce qu’ils permettent d’organiser le monde à partir d’une seule posture : « moi ».
Centralité : c’est l’action de se poster au centre de tout événement quel qu’il soit et interpréter tout comportement de qui que ce soit comme s’adressant à soi ; de fait, cette action constitue un puissant réducteur de complexité, un extraordinaire simplificateur de monde. La posture centrale constitue une réponse a priori à tous les problèmes de logiques communicationnelles, elle résout a priori tous les problèmes d’interprétation de comportements des uns et des autres : quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, ils le font et ils le disent à l’attention du sujet.
Indifférenciation subjective : cette posture définit l’un et l’autre à la même place, qui plus est indéterminée ; là encore, cette posture constitue une puissante réponse a priori concernant la question de la définition de la relation (Haley op.cit.) : dans un espace où, précisément, il a toujours été question de ne jamais se situer, que moi et l’autre puissent indifféremment occuper la même place y-compris dans un même corps et un même esprit, résout a priori touts les problèmes de définition de la relation.
Jay Haley et les règles spécifiques de la communication schizophrénique.
L’observation des interactions dans les familles comprenant un schizophrène a ensuite permis de préciser les phénomènes en jeu. Jay Haley, s’appuyant sur les travaux de l’équipe Bateson dont il fut un membre actif, a proposé un modèle simple et général de la ponctuation dans la communication. Tout individu communiquant avec un autre, ne peut le faire qu’en actionnant quatre niveaux :
- je
- dis quelque chose
- à vous
- ici et maintenant
Remarquez que chacun des niveaux contraint le locuteur à un choix restreint de logiques : respecter ou falsifier les signaux d’identification des modes de communication liés à chacun de ces niveaux.
- « je » le contraint à se définir soi-même : il peut le faire ou non. Par exemple, je peux parler en mon nom et dire : « je vous trouve très sympathiques », ou utiliser une définition générique qui m’engage moins personnellement : « nous autres professeurs, vous trouvons très sympathiques », je peux brouiller un peu plus les cartes en m’adressant à vous ici, en vous disant : « c’est le thérapeute de famille qui vous parle » ou « c’est le psychanalyste qui vous parle », ou encore je peux utiliser un subterfuge qui me dégage radicalement, tel que : « Jésus vous trouve très sympathiques ».
- « dis quelque chose » contraint le locuteur à proférer un discours ; mais ce discours peut être intelligible selon les règles conventionnelles de la communication verbale, ou non. Je peux parler littéralement, utiliser des métaphores étiquetées, ou au contraire utiliser des métaphores non étiquetées. Je peux aussi bredouiller, utiliser un vocabulaire très spécialisé, annuler ce que je viens de dire par son contraire, ou tout simplement rester mutique.
- « à vous » contraint le locuteur à définir l’interlocuteur. Je peux m’adresser à l’une ou l’un d’entre vous clairement : « mademoiselle ou monsieur Untel ». Je peux aussi, toujours m’adressant à l’un d’entre vous, dire : « vous autres étudiants », ou plus flou encore : « vous autres les jeunes » ; je peux aussi vous parler de tout autre chose que ce que les contextes laissent supposer, par exemple, ici avec vous : « Vous savez, il faut que je change de voiture », ce qui vous redéfinit comme vendeurs de voitures ou mécaniciens, ou, mieux encore, faire comme si je me parlais à moi-même, ce qui vous redéfinit comme inexistants.
- « ici et maintenant » contraint le locuteur à se situer et à situer son interlocuteur dans l’espace et dans le temps. Ce niveau de définition de la relation s’exprime dans le registre analogique et contextuel. Par des attitudes et des comportements appropriés je vous signale ceci : « Moi, prof de psycho, je suis en train, dans cet amphi à cette heure, de faire un cours de psychopathologie portant sur la schizophrénie à vous étudiants de M1 ». Mais je peux aussi laisser entendre que je me sens plus à l’aise dans le passé ou dans l’avenir, et situer ce cours dans un autre lieu, par exemple : « cette prison dans laquelle nous sommes… » ou « ce bordel dans lequel nous sommes… », ou « ici c’est la zone… »
Avec une réelle maestria, Jay Haley met en évidence que, pour se montrer schizophrène, il suffit de gérer ces quatre items de façon particulière. Il vous suffit d’éviter de définir la relation à plusieurs de ces quatre niveaux, pour que votre interlocuteur se dise : « il est schizo ! ».
J’attire cependant de nouveau votre attention sur ceci : nous-mêmes triturons très souvent les divers niveaux de définition de la relation pour contrôler la relation, pour en tirer avantage ou pour nous sortir d’un mauvais pas relationnel. Nous pratiquons l’humour et la falsification des signaux d’identification des modes de communication et le paradoxe communicationnel pour les mêmes raisons… Ces façons de communiquer sont parfaitement courantes, donc normales. Il en faut donc un peu plus, pour se voir étiqueter schizo.
Un discours est étiqueté schizophrénique à partir de deux choses :
- un certain degré de radicalisation dans le triturage des règles de la communication ;
- le niveau de tolérance de l’interlocuteur (et les psys montrent un niveau de tolérance excessivement bas).
Cette mise en évidence par J. Haley des quatre registres de la définition de la relation, et de l’usage particulier qu’en font les schizophrènes, constitue une avancée considérable en psychopathologie, pour deux raisons majeures :
a) la notion générale de délire peut enfin évoluer dans le sens d’une dé-diabolisation ; ce statut diabolique, l’idée a priori qu’un délire est une chose gravissime, avait jusqu’alors pesé très lourd dans le statut de la maladie mentale.
b) ce qu’on appelait le délire des schizophrènes, peut à présent être vu comme une simple technique d’évitement de définir la relation ayant fait l’objet d’un apprentissage familial ;
Cet apprentissage familial étant nécessairement fondé sur des logiques interactionnelles et interrelationnelles particulière, il suffisait d’observer les interactions des familles comportant un schizophrène pour voir émerger un système de règles, caractéristique des transactions schizophréniques.
Un outil d’évaluation-action : les cinq questions de Jay Haley.
Jay Haley, dans le but de mettre en évidence des modalités de fonctionnements particulières à une famille donnée, propose au thérapeute face à une famille, quel que soit le problème qu’elle apporte, de se poser cinq questions et des les explorer à travers la conversation de séance :
1- sur la façon dont les membres de la famille qualifient leurs propres communications.
2- sur la façon dont les membres de la famille qualifient les communications d'autrui.
3- sur les problèmes de leadership dans la famille.
4- sur le problème des alliances dans la famille.
5- sur le problème de l'acceptation des responsabilité et donc du blâme pour ce qui va mal.
Concernant les familles avec schizophrène, il en tire cinq remarques significatives :
1 - aucun membre d’une famille à transaction schizophrénique ne qualifie ses propres communications ;
2 – aucun membre d’une famille à transaction schizophrénique ne qualifie les communications d’autrui.
3 -"personne n'est disposé à déclarer le leadership en son propre nom : les motivations des initiatives des individus sont rapportées à quelque chose d'extérieur à eux-mêmes."
4 -"les alliances déclarées à un niveau sont toujours dénoncées à un autre niveau ".
5 -"le blâme pour ce qui va mal est toujours refusé."
En considérant ces 5 manières spécifiques d’interagir, nous comprenons mieux comment d’autres auteurs qui avaient observé de telles familles avaient conclu que dans ces familles la seule règle est qu’il n’y a pas de règle !
En fait, il y en a une et même très contraignante : ne jamais qualifier ses propres messages, ne jamais qualifier les messages des autres, ne jamais assumer ouvertement ses motivations, toujours chercher le pouvoir sur les autres en le déniant.
Jay Haley propose donc un pas de plus, extrêmement important, dans cette approche du comportement schizophrénique : là ou Bateson voyait encore une victime face à ses bourreaux, Haley décrit un jeu familial auquel tous les membres du système participent activement et dans lequel chacun tente de tirer son épingle du jeu, en prenant le contrôle de la relation par tous les moyens que je viens d’énoncer.
Dans son ouvrage : « Tacticiens du pouvoir. » (ESF), il en donne une description d’une férocité et d’un humour superbes.
lire : Haley J. ( ) Stratégies de la psychothérapie. ERES éditeur.Mara selvini-palazzoli.Les jeux psychotiques dans la famille. ESF éditeur
Jay Haley et le style « stratégique »
Jay Haley est considéré comme le fondateur du style dit stratégique en thérapie systémique. Il a eu en Europe des émules illustres et inventifs, l’équipe de Milan autour de Mara Selvini-Palazzoli, Juliana Prata et Gianfranco Cechin.
Un constat fondamental, lié aux travaux de l’équipe Palo-Alto sur les logiques de la communication et qui avait conduit à mettre en évidence la prégnance de la communication analogique : « on en peut pas ne pas communiquer », à quoi Bateson ajoute que « toute communication est à la fois un message et un ordre ».
Ce double constat impose une reconstruction de l’éthique majoritaire en thérapie, éthique produite par le modèle psychanalytique, fondée sur le principe de neutralité et de non influence du thérapeute sur son patient.
Haley et Weakland poussent les implications logiques de ces deux remarques et ajoutent que : « on ne peut pas éviter de s’influencer mutuellement ». A partir de quoi une théorie générale de l’influence et une théorie de l’influence thérapeutique deviennent nécessaires.
Deux thérapeutes d’exception, très marginaux, vont permettre d’avancer dans cette voie : Milton Erickson et John Rozen, qui sont deux grands stratèges, deux grand tacticiens du pouvoir.
Haley, qui a pu observer les jeux de pouvoir dans les familles à transaction schizophrénique, va donc centrer une partie importante de sa recherche autour des jeux de pouvoir au sein des systèmes humains.
Lire :Jay Haley : Les tacticiens du pouvoir. ESF éditeur.
Deux registres théoriques dans la thérapie stratégique :
- l’une tente de rendre compte de ce qui entretient les problèmes au sein d’un système familial,
- l’autre tente de rendre compte des conditions du changement et de produire des techniques de changement.
L’éthique de responsabilité du thérapeute y est centrale. Il doit se montrer actif, habile, directif, chaleureux et respectueux. Il doit travailler à l’intérieur de la vision du monde de ses patients, planifier et mettre en œuvre ce qu’il veut voir arriver dans la thérapie et, en cas d’échec, en assumer la pleine responsabilité. Ce qu’il est habituel en thérapie d’appeler « résistance » des patients est défini par Haley comme erreur du thérapeute.
Les étapes de la thérapie :
Haley distingue 3 phases dans la thérapie, dont il cherche à ce qu’elle ne dure qu’une seule séance, même si, le plus souvent une dizaine de séances sont nécessaires et beaucoup plus pour les familles à transaction psychotique.
a) préparation et coopération :
le temps de préparation consiste à mettre les patients dans une position qui leur permette de se sentir compétent face à leurs problèmes. Pour cela le thérapeute pourra leur proposer de petites tâches faciles qui les rassureront quant à leurs compétences. La dynamique de coopération concerne le lien entre thérapeute et patients, mais aussi les patients entre eux : par exemple faire en sorte qu’un père et une mère qui se montrent perpétuellement en conflit quand il s’agit de prendre une décision éducative fassent l’expérience d’une action conjointe réussie. Cette suite d’interventions préparatoires ne vise pas à résoudre le problème, mais à générer les conditions de sa résolution.
b) résolution du problème :
en général, trois ou quatre ensemble de tâches sont nécessaires à la résolution d’un problème. La première tentative échoue souvent et produit des informations précieuses pour ajuster les suivantes. Le thérapeute se montre ouvertement prudent quant aux possibilités de résolution rapide, bien qu’il tente résolument, dès la première séance de résoudre le problème. Cette phase comporte un certain nombre de directives, paradoxales ou non.
c) terminer la thérapie :
pour être durable, la réussite exige qu’on la consolide. Thérapeute et patients vont donc s’attacher ensemble à comprendre comment ils ont réussi à résoudre le problème. Cette phase d’explication est considérée par les thérapeutes stratégiques comme très importante car ils pensent qu’elle conditionnera la façon dont les membres de la famille aborderont les problèmes futurs. Ils sont très attentifs, ici, à n’utiliser que le langage des patients, afin qu’ils puissent s’approprier les effets de la thérapie. De même, le thérapeute n’oublie jamais de prédire une rechute. Pourquoi ? si le patients ne sont pas préparés à une telle éventualité, il risquent de perdre toute confiance dans leurs capacités à résoudre un nouveau problème ; la prédiction peut aussi produire un effet paradoxal efficace de défi : « cause toujours, nous ne rechuterons pas ! ». dans cette phase finale, le thérapeute, qui se conduisait volontiers en expert au début de la thérapie (complémentarité haute), se montre très égalitaire (posture conversationnelle) : il signifie ainsi analogiquement que la famille n’a plus besoin de tuteur pour résoudre les problèmes futurs.
Thérapie stratégique et cycles de vie :
La plupart des crises productrices de symptômes semblent générées par la difficulté à construire des solutions nouvelles face à des problèmes nouveaux : passage de la conjugalité à la parentalité, adolescence, départ des enfants, naissance des petits-enfants, deuils, perte ou changement de travail. Le thérapeute stratégique repère donc et prend étroitement en compte les phases de cycle de vie dans lesquelles se débattent leurs patients.
Le choix des variables pour la thérapie :
Devant une famille qui arrive, le thérapeute doit décider de combiner un certain nombre de variables, parmi plusieurs dizaines possibles, sur lesquelles il construira ses stratégies.
Les variables choisies devront permettre le respect de la combinaison de 5 postures :
- une thérapie qui respecte l’individu et qui soit conforme à l’éthique du thérapeute,
- une thérapie efficace,
- une thérapie pratique sur le plan du temps et des ressources des patients,
- la mise en oeuvre d’une théorie simple tant à acquérir qu’à enseigner,
- une approche thérapeutique fondée sur une vision positive du potentiel humain. (compétence des familles : Guy Ausloos)
Le thérapeute stratégique s’appuie sur quatre critères (PUSH) :
- protection
- unité
- séquence
- hiérarchie
1. protection : la notion de protection permet de présenter le symptôme comme une tentative d’aide -certes maladroite- de la part du porteur de symptôme à l’égard d’autres membres de la famille. On pourra dire qu’une anorexique se prive de manger pour empêcher l’éclatement de la famille, qu’un adolescent fugue ou, au contraire refuse de sortir de la maison, pour contraindre ses parents à s’inquiéter ensemble et collaborer, etc. le thérapeute évite ainsi de développer une attitude criticiste et négativiste à l’égard de tel ou tel membre de la famille. Cette vision permet aussi de préparer en douceur une régulation autour des frontières intergénérationnelles : l’enfant porteur de symptôme est ainsi vu comme se positionnant au dessus de ses parents qu’il aide, mais ce « au dessus » est lisible comme un acte positif voire sacrificiel auquel on pourra lui demander de « renoncer » pour son propre bien-être : ainsi, il ne perdra pas la face en acceptant de changer.
2. unité : en thérapie stratégique, le triangle est l’unité fondamentale. Il permet de dessiner les alliances et les coalitions, sans se perdre dans des configurations trop compliquées. Haley remarque que trois personnes ensemble c’est déjà six « bonjours » ; à cinq personnes on en est déjà à vingt ! on cherchera donc à identifier les différents modes de triangulation dans la famille et on fondera des stratégies sur les dynamiques de triangulation.
3. séquence : le thérapeute repère avec précision les séquences interactionnelles redondantes impliquées dans le problème à résoudre et l’ordre dans lequel elles se présentent. Pour des raisons pratiques il peut choisir de les décrire sur un mode linéaire (A parce que B) ou circulaire (A entraîne B qui entraîne C qui entraîne A). Il s’agit que certaines séquences co-génératrices du problème soient remplacées par d’autres, apaisantes (métacommunication, affermissement des frontières inter-générationnelles, etc.).
4. hiérarchie : Haley estime qu’un système familial ne peut fonctionner adéquatement que si un ordre hiérarchique minimal y est respecté. Un adolescent qui décide à la place des parents (parentification), une grand-mère qui décide à la place de la bru (infantilisation), relève donc (sauf exception) d’un dysfonctionnement hiérarchique. Ces dysfonctionnement sont très souvent liés à des coalitions transgénérationnelles, auxquelles le thérapeute s’attaquera.
L’usage de la métaphore comme outil d’intelligibilité des symptômes.
Jay Haley a hérité de Milton Erickson, avec qui il a travaillé dès 1953, l’idée que les symptômes peuvent être considérés comme une métaphore d’une séquence ou d’un style interactionnel (cf. l’usage essentiellement métaphorique du langage dans le délire schizophrénique, comme métaphore du double bind).
Le symptôme peut aussi être saisi comme métaphore de l’état intérieur d’un membre de la famille qui n’est pas nécessairement le porteur de symptôme (TS d’un enfant comme métaphore de la dépression grave d’un de ses parents).
La métaphore est ici un outil d’intelligibilité des symptômes.
Produire du sujet dans la danse là où il n’y a pas de sujet de la danse !
Francisco Varela, avec son concept d’enaction (1989), Henri Atlan avec son concept d’auto-organisation (2000), ont bien mis en évidence que, dans nos interactions quotidiennes avec notre environnement humain et non humain, nous co-produisons une « danse » dans laquelle les actions des uns sont en permanence co-déterminées par les actions des autres et réciproquement. De fait, une modélisation du couple, de la familles, des équipes, sur ces bases se montre très productive en thérapie.
Longtemps avant ces travaux princeps, Gergory Bateson écrivait : « toute communication est à la fois un message et un ordre. ». Sur le « on ne peut pas ne pas communiquer » largement diffusé par Watzlawick, a été ajouté « on ne peut pas ne pas s’influencer mutuellement », à quoi j’adjoindrai un corollaire que je crois fondamental : « on ne se voit pas se comporter ».
Ces deux derniers aphorismes, s’ils sont rarement énoncés, constituent, dès ses débuts, le cœur de la thérapie systémique : de fait, ils sont au centre du style stratégique de Jay Haley et du style structural de Salvador Minuchin.
C’est à la suite de ces deux derniers aphorismes que j’en propose un de plus : « il n’y a pas de sujet de la danse ».
De la danse interactionnelle incessante à laquelle nous participons, émergent des significations, du know how (Varela 2003), du savoir comment se comporter ensemble. Il n’en émerge pas des sujets de leurs actes (des sujets de leur désir, aurait dit Lacan), mais seulement un accordage, des coordinations d’actions, dont certaines, par le jeu d’un deutéro-apprentissage, se stabilisent pour devenir des habitudes interactionnelles, voire des rituels.
Jay Haley (1993), avec ses cinq toujours précieuses questions :
1- sur la façon dont les membres de la famille qualifient leurs propres communications.
2- sur la façon dont les membres de la famille qualifient les communications d'autrui.
3- sur les problèmes de leadership dans la famille.
4- sur le problème des alliances dans la famille.
5- sur le problème de l'acceptation des responsabilité et donc du blâme pour ce qui va mal.
nous permet aujourd’hui encore de « voir », dans nos thérapies, certaines modalités de coordinations d’actions devenues des modes redondants de fonctionnements familiaux, des « règles implicites », sachant qu’à ce niveau, pour reprendre une remarque de Mara Selvini, la dichotomie « conscient-inconscient » et « somatique-psychique » n’a plus aucun intérêt (l’expérience princeps de Minuchin avec une famille porteuse de diabète en fut une superbe illustration (Minuchin 1998)).
Les objets miroir.
Dans un précédent article (2006), j’ai présenté deux objets graphiques que j’ai appelé « objets miroirs » pour ceci que les personnes et les familles auxquels je les propose, semblent s’y coupler sur un mode « miroir » : ils s’y « voient » instantanément, avec pour effet chez eux l’émergence d’un sujet de la danse.
Cette fonction miroir est en permanence à l’œuvre dans les métaphores dont usent souvent les thérapeutes systémiciens à l’adresse des familles et des couples avec lesquels ils travaillent. La conditions étant, bien entendu, qu’elles se montrent, du point de vue des patients, comme étant un miroir de leur danse.
Ainsi, à travers une métaphore suffisamment adéquate, un couple, une famille, se « voient » soudain se comporter. Et ce « se voir se comporter » se constitue systématiquement pour eux comme information c'est-à-dire comme changement.
La différence entre la métaphore et les objets miroirs tient à ceci qu’une métaphore convient difficilement, voire pas du tout, à un processus de généralisation, là où les objets miroirs semblent se coupler, pour chacun d’eux, à une situation quasi-universelle telle que le deuil et le lien mère-enfant (Gaillard 2006).
Les directives :
Vous avez compris que le thérapeute stratégique dirige et oriente activement la thérapie. En cela, il développe aussi largement que possible au bénéfice de la thérapie cette remarque de Bateson, selon lequel : « une communication est en même temps un rapport et un ordre ».
Il fait donc un usage alterné de directives explicites ou implicites, dans le but de contraindre ses patients à expérimenter de nouveaux modes interactionnels, c'est-à-dire des échanges émotionnels différents et de faire en sorte qu’ils les adoptent.
Directives explicites, implicites et paradoxales :
Jay Haley remarque que, lorsqu’une directive est explicite, les patients l’identifient comme venant du thérapeute ; mais lorsqu’elle est implicite, les patients croient en être les auteurs. Dans le second cas, les effets en sont plus solides (le modèle autopoïétique fournit les éléments nécessaires à une compréhension de ce phénomène).
Quant aux prescriptions paradoxales, systématisées par Milton Erickson, si elles sont d’un usage délicat, elles montrent néanmoins une efficacité toujours surprenante. Une directive est définie comme paradoxale quand, « à un niveau d’abstraction différent elle est nuancée par une autre, de façon contradictoire » (Madanes 1981). Le thérapeute stratégique utilise trois types de prescriptions paradoxales :
- prescrire le symptôme (il demande aux patients de conserver le symptôme)
- susciter de la résistance à une amélioration (il demande au patient de résister au changement qu’il sent venir)
- faire semblant (il leur demande de jouer le symptôme)
Dans les deux premiers cas, le thérapeute s’appuie sur ce que Selvini nommera Ybris : le besoin de contrôle, l’amour de la lutte.
Dans le troisième cas, le thérapeute conduit les patients à contrôler ludiquement ce qu’ils définissaient comme par définition incontrôlable : le symptôme.
L’affiliation et ses exigences :
Jay Haley se montre d’emblée très exigeant quant à la nécessité d’instaurer avec les patients une alliance thérapeutique forte ; il en fait la condition si né qua non de la réussite.
Il distingue quatre éléments nécessaires :
- la connaissance du problème et du contexte : les patients doivent être rapidement convaincus que le thérapeute a compris le problème et les contextes du problème.
- la sympathie : le thérapeute se considère comme responsable de bien aimer ses patients ; il considère comme un devoir professionnel d’organiser la thérapie de telle façon que ses patients lui paraissent sympathiques.
- la compétence : elle passe par une formation suffisante, mais aussi par un usage permanent du tact : ne jamais blesser ses patients, ne pas leur faire perdre la face les uns devant les autres.
- l’empathie : l’empathie ne produit pas le changement mais elle en est une condition. Elle génère un espace de confiance, le sentiment d’être accepté, indispensables à la construction de l’affiliation.
Salvador Minuchin.
En 1956, date de parution de l‘article fameux, « Toward a Theory of Schizophrenia », un jeune pédopsychiatre entre dans l’arène : Salvador Minuchin. Il travaille dans le ghetto portoricain, c'est-à-dire avec des familles assez semblables à celles, maghrébines, qu’on trouve aujourd’hui dans les ghettos de nos grandes banlieues. Il va donc peu à peu construire un outil assez robuste et surtout pas sophistiqué, à la mesure des difficultés rencontrées.
Il est le fondateur du style dit Structural en thérapie familiale.
Minuchin, comme tous les thérapeutes (années 50-60), invente son style à partir de rencontres : il travaillera de 1967 à 1973 avec Jay Haley, en s’appuyant sur quelques repères fondamentaux :
- le concept de système saisi comme totalité plus riche que la somme de chacun de ses composants,
- celui de feed-back, emprunté à la cybernétique,
- celui de contexte comme exerçant une influence permanente sur l’individu.
Il invente bien évidemment son style à partir de ce que ses contextes familiaux et sociaux on fait de lui :
« mon style, en partie, est le produit de mon enfance passée dans une famille enchevêtrée qui comptait quarante oncles et tantes et environ deux cent cousins, le tout formant, à un degré ou à un autre, un réseau familial étroit. » (Minuchin 1974)
Et comme tout systémicien, il prend soin de redéfinir le symptôme comme processus systémique et non comme propriété d’un individu.
Sa définition est très intéressante :
« j’appelle symptôme la façon dont les membres de la famille se positionnent par rapport au porteur de symptôme, et c’est pourquoi je mets à l’épreuve la structure de la famille. » (Minuchin 1984)
Minuchin définit la structure familiale comme « le réseau d’exigences fonctionnelles qui organisent la façon dont interagissent les membres de la famille. La famille est un système qui fonctionne selon des patterns transactionnels. La répétition des transactions établit des patterns de comment, quand et avec qui on entre en relation ; et ces patterns étayent le système. » (Minuchin)
Minuchin propose trois repères qui permettent de dessiner cette structure actuelle d’une famille :
- les frontières : ce sont les règles qui déterminent qui participe à quoi et comment. Elles dessinent des sous-systèmes dans le système familial
- l’alignement : c'est-à-dire « l’union ou l’opposition d’un membre d’un système à un autre dans la réalisation d’une opération » (Aponte)
- le pouvoir : c'est-à-dire « l’influence relative de chaque membre dans le devenir d’une activité ». (Minuchin)
Minuchin est en outre l’inventeur d’un couple de concepts très utilisés en thérapie familiale, le concept d’enchevêtrement et celui de désengagement.
a) Les familles enchevêtrées (frontières diffuses) sont des familles très closes sur elles-mêmes (par goût ou par force), dans lesquelles chacun montre un soucis permanent des besoins des autres et un grand désir de soutien mutuel, à travers une surabondance de communications. La dérive naturelle de ce dispositif structural est un appauvrissement de l’autonomie de chacun, en même temps qu’une inflation des sentiments d’appartenance. La rançon en est un arrêt du temps pour tous et une propension aux troubles psychosomatiques.
b) Les familles désengagées (frontières rigides), à l’inverse, sont des familles très ouvertes sur l’extérieur, avec des règles rigides qui séparent les sous-systèmes de telle façon que les sentiments d’appartenance sont très faibles, voire inexistants, que le soutien mutuel n’y existe pas : personne ne peut demander de l’aide aux autres.
Minuchin a mis au point un système de code graphique, un outil de modélisation permettant de dessiner la carte familiale dans la séance ; elle met en évidence les distances interpersonnelles, les liens émotionnels, les récurrences transactionnelles, les modes de gestion de l’espace dans la salle.
Le thérapeute structural se conduit en stratège orienté vers le présent de la famille. Son objectif est de conduire à des modifications dans la structure familiale, puisqu’il modélise à la fois les problèmes invoqués par la famille et les solutions à construire au niveau de la structure.
Trois étapes principales :
- affiliation : il fait activement le nécessaire pour s’affilier avec la famille,
- modélisation de la structure de cette famille,
- transformation.
Il est clair que ces trois séquences sont étroitement intriquées et dynamiquement interdépendantes.
Minuchin propose de considérer huit grandes étapes dans la transformation de la structure :
1. mise en acte des configurations transactionnelles habituelles :
le thérapeute structural, comme tous les thérapeutes systémiciens, privilégie la mise en actes, plutôt que le récit, à chaque fois qu’il le peut. Le récit contribue en fait très régulièrement, de manière assez efficace, à la perpétuation du problème : les caractéristiques auto-informationnelles de l’humain font que l’exposé des problèmes dont sont capables chacun des membres de la famille n’est évidemment que le reflet, non seulement de son seul point de vue, mais aussi des solutions qu’il tente d’imposer de façon récurrente comme étant les seules bonnes ; solutions qui ne marchent pas, puisque la famille se retrouve devant un thérapeute. A ce stade, le thérapeute n’utilise le récit des protagonistes que pour repérer les configurations transactionnelles habituelles, qu’il pourra mettre en acte en accentuant les rapports spatiaux intra-familiaux (rapprocher encore plus Mme et sa fille, éloigner encore plus Mr., etc.).
2. jouer sur l’espace :
même technique de manipulation de l’espace mais, cette fois, dans le but de procurer aux différents sous-systèmes une expérience nouvelle (mettre face à face Mr et sa fille, en éloignant Mme de telle façon qu’elle ne puisse plus les contrôler du regard).
3. délimiter les frontières :
le thérapeute structural estime que pour fonctionner de façon suffisamment efficace un système familial doit à la fois garantir son intégrité globale et un espace suffisant d’autonomie pour chacun de ses membres. Cela implique concrètement une capacité de négociation suffisamment dynamique (en termes Neuburgiens on dirait préserver l’appartenance tout en co-aménageant des espaces d’individuation). Dans son travail, Minuchin insiste beaucoup sur la nécessité, selon lui, que le sous-système parental soit capable de prendre des décisions, notamment éducationnelles ; il va donc favoriser son renforcement. Pour cela, il n’hésitera pas à disqualifier un enfant qui prétend occuper une place qui n’est pas la sienne.
4. surmonter les tensions et les stress :
pour pouvoir aider la famille a surmonter tensions et stress, le thérapeute, après avoir identifié les dynamiques répétitivement génératrices de tension et de stress, va les exacerber :
i. soit en bloquant leur jeu,
ii. soit en mettant en exergue les conflits habituellement escamotés par ces transactions répétitives,
iii. soit nouer des alliances ou des coalitions temporaires avec l’un ou l’autre des membres de la famille.
Il génère ainsi des situations telles, qu’elles contraignent les membres de la famille à expérimenter d’autres voies, moins coûteuses.
5. attribuer des tâches thérapeutiques :
ces tâches, là encore, contraignent les membres de la famille à redéfinir en acte, c'est-à-dire à transformer, les transactions familiales. Ces tâches pourront être à exécuter au cours de la séance ou à la maison ; elles pourront concerner l’ensemble des membres de la famille ou seulement quelques uns.
6. se servir des symptômes :
le thérapeute passera par divers modes d’utilisation du symptôme. Il pourra se focaliser dessus, l’exacerber, le redéfinir (recadrage), l’ignorer sciemment, s’intéresser à un autre symptôme, etc.
7. manipuler l’ambiance affective :
le thérapeute peut dramatiser la situation, il peut aussi jouer de l’humour ou de la dérision, proposer des métaphores fortes, énoncer très crûment une situation qui se répète habituellement sans parole, etc. son but est alors de permettre une identification en acte, par les protagonistes, des détails des transactions génératrices d’émotions fortes et bloquantes, tout en ouvrant l’éventail des expressions émotionnelles de la famille.
8. soutien, guidance :
le thérapeute structural choisit d’étayer plus particulièrement telle ou telle fonction, ou tel ou tel sous-système, dans la famille. Minuchin, je vous l’ai dit, tient pour important que le sous-système parental se montre suffisamment puissant en termes de décisions et d’éducation ; il n’hésitera donc pas à soutenir certaines actions parentales. Devant une incompétence relationnelle particulière, il indiquera aux membres de la famille des comportements plus propres à ces niveaux de communication. Il pourra aller jusqu’à diriger certaines actions parentales dont il pense qu’elles permettront aux parents d’expérimenter une posture d’autorité et, dans le même temps aux enfants d’expérimenter un sentiment de sécurité plus grand.
Vous constatez donc que le thérapeute structural se montre très actif, voire dirigiste, avec les familles.
N’oubliez pas, cependant, de noter que cette activité et ce dirigisme se produisent selon des modes très particuliers, essentiellement analogiques : il fait faire, il provoque des expérimentations nouvelles, il perturbe les transactions symptômatogènes… il n’est pas un maître cartésien et linéaire qui sait à la place de ses élèves. Simplement, en bon constructiviste il joue de l’autorité là où il pense qu’elle peut contribuer à une affiliation, ou qu’elle peut accélérer une déstabilisation de la structure.
Je vous rappelle que Minuchin a construit son style avec des familles très défavorisées ; certaines recherches sur les psychothérapies ont mis en évidence que les personnes appartenant à des milieux défavorisés appréciaient tout particulièrement l’expression de l’autorité chez leur thérapeute, ce qui est beaucoup moins vrai des milieux favorisés.
Minuchin, comme tous les systémiciens, accorde une très grande importance aux contextes : il faut dire que l’observation des feed-back au sein d’un système y contraint beaucoup.
« le contexte influence directement les processus internes de l’esprit. »
(Minuchin p. 21)
Mais nous allons voir qu’il est allé très loin dans la démonstration de l’effet du contexte sur les comportements réciproques des individus dans une structure familiale.
Y-compris chez les animaux, remarque-t-il. Avec le neurologue José Delgado :
- si vous équipez d’électrodes le cerveau d’un singe mâle dominant et que vous excitiez ainsi son amygdale, il devient furieux et il attaque. Mais ses attaques sont en fait toujours dirigées vers l’un ou l’autre des mâles à qui il arrive de défier on autorité, jamais contre la petite femelle qui est sa favorite ; en d’autres termes, la stimulation électrique produit un comportement violent, mais l’expression de cette violence est toujours relative aux contextes.
- Si vous faites changer de rang dans la hiérarchie une guenon, les effets de la stimulation électrique sont radicalement différents.
a) Rang inférieur : elle n’attaque qu’une fois,
b) Rang moyen , 24 fois,
c) Rang supérieur, 79 fois.
Un singe de rang inférieur dont on stimule légèrement le cerveau peut ne montrer aucune réaction d’agressivité.
Nous avons là un modèle animal de ce que Freud appelait la répression !
Soit une impulsion
- Ici celle produite par l’électrode,
A laquelle se combine un effet de contexte :
- ici la place du sujet dans la danse interactionnelle permanente déterminant le rang social).
Nous voyons que l’influence du contexte se montre plus prégnante que l’impulsion, dont elle détermine l’expression.
La manipulation de laboratoire est validée par l’observation en milieu naturel où, de la même façon, un singe qui change de statut social passe de non agressif-soumis à très agressif-dominant : le modèle contextuel est ici validé, et la notion très idéologique de « personnalité », largement fondée sur un modèle génétique, en est sérieusement ébranlée !
Minuchin, avec Delgado, définit donc les contextes comme « esprit extra cérébral » des individus.
Selvini, quelques années plus tard, n’hésitera pas à énoncer que :
« lorsqu'il apparaît que dans un circuit systémique chaque élément est inséré et qu’il interagit avec la totalité, les dichotomies organique-psychique ou conscient-inconscient perdent toute signification. » (Selvini Paradoxe pp. 15-16)
Vous constatez que cette affirmation n’est pas gratuite puisque les travaux sur les singes vont dans ce sens ; mais ce ne sont que des singes, me direz-vous : une démonstration faite sur des singes n’offre pas les garanties d’isomorphisme qui font la bonne démonstration (Maturana).
Minuchin en était conscient ; il a donc monté une expérimentation humaine, qui a démontré la validité du modèle contextuel. Il a en même temps constitué de façon magistrale une théorie et une clinique systémique de la psychosomatique.
« Le concept d’esprit cérébral et extra-cérébral de Delgado est directement comparable aux concepts de Bateson et d'Ortega. Un esprit humain progresse à mesure que le cerveau se développe et emmagasine les multiples inputs émis à la fois par le milieu intérieur et le milieu extérieur. Informations, attitudes, façons de percevoir, sont assimilées et emmagasinées, devenant par cela même partie de l'approche de la personne à l'égard du contexte immédiat avec lequel elle est en interaction. » (Minuchin)
Minuchin pose l’hypothèse selon laquelle l’organisation et la structure de la famille servent de matrice à l'expérience de ses membres et qualifient cette expérience : la famille serait donc une importante partie extra-cérébrale de l'esprit.
Au cours d’une enquête sur les maladies psychosomatiques de l'enfance, Salvador Minuchin et Lester Baker démontrent expérimentalement l'influence de la famille sur ses membres. Les résultats de cette recherche ont fourni les bases expérimentales d’un principe fondamental en thérapie familiale, selon lequel l'enfant répond aux stress qui touchent la famille.
Minuchin et Baker mettent au point une méthode pour mesurer les réactions physiologiques de l'individu au stress familial :
« Au cours d'une entrevue familiale structurée, organisée avec cet objectif, on préleva des échantillons de sang à chacun des membres de la famille, ceci de façon telle que les interactions en cours ne soient pas perturbées par l'obtention des échantillons. On analysa ensuite la teneur des échantillons en acides gras libres en circulation dans le plasma. Les acides gras libres en circulation (AGL) constituent un indicateur biochimique de l'éveil d'une émotion: la concentration s'élève après cinq à quinze minutes de tress émotionnel. En comparant le niveau de AGL à différents moments au cours de l'entrevue structurée, on peut enregistrer physiologiquement la réponse de l'individu aux stress familiaux.
Les taux d'AGL de la famille Collins en sont un bon exemple (fig. 1). Les deux enfants étaient diabétiques. Dédée, dix-sept, ans, avait du diabète depuis trois ans; sa soeur Violette, douze ans était diabétique depuis la petite enfance.
Des études sur la « labilité physiologique » des enfants ont montré qu'il n'y avait pas de différence évidente en ce qui concernait leur sensibilité individuelle au stress. Or, ces deux enfants, avec la même déficience métabolique, possédant en grande partie le même patrimoine génétique, vivant dans la même maison avec les mêmes parents, ont présenté des problèmes cliniques très différents. Dédée était une diabétique « super labile », c'est-à-dire que son diabète était influencé par des problèmes psychosomatiques. Elle était sujette à des accès d'acidose qui ne cédaient pas à l'insuline administrée à la maison. En l'espace de trois ans, elle avait été admise à l'hôpital vingt-trois fois pour traitement d'urgence. Violette avait certains problèmes de comportement dont ses parents se plaignaient, mais son diabète était bien contrôlé médicalement.
Au cours de l'entrevue destinée à mesurer les réactions des enfants au stress, de neuf heures à dix heures, les parents furent soumis à deux conditions de stress différentes pendant que les enfants observaient à travers un miroir unidirectionnel. Bien que les enfants ne pussent prendre part à la situation de conflit, leur niveau d'AGL s'éleva pendant qu'elles observaient leurs parents sous stress. L'effet cumulatif du stress psychologique immédiat eut assez de puissance pour provoquer des changements physiologiques alors même que les enfants n'étaient pas directement impliquées. A dix heures, les enfants furent introduites dans la même salle que leurs parents. Il devint alors évident qu'elles jouaient dans la famille des rôles très différent. Dédée était piégée entre ses parents. Chaque parent essayait de l'avoir comme soutien dans son combat contre l'autre, si bien que Dédée ne pouvait répondre aux demandes d'un parent sans sembler prendre parti contre l'autre. On ne cherchait pas l'inféodation de Violette. Elle pouvait donc réagir aux conflits de ses parents sans être piégée au milieu.
On peut vérifier les effets de ces deux rôles dans les résultats des AGL. Les deux enfants ont présenté une augmentation significative au cours de l'entrevue, entre neuf heures et dix heures, et une augmentation encore plus importante entre dix heures et dix heures trente quand elles étaient avec leurs parents. Toutefois, à la fin de l'entrevue, à dix heures trente, le taux d'AGL de Violette était retombé rapidement au point de départ. Celui de Dédée était resté élevé pendant l'heure et demie suivante.
Chez les deux conjoints, les niveaux d'AGL augmentèrent de neuf heures trente à dix heures, indiquant un stress dans les transactions conjugales. Mais leur AGL diminua après que les enfants aient été amenées dans la pièce et que les époux aient repris leurs fonctions de parents. Dans cette famille, le conflit conjugal était atténué ou dévié quand les conjoints assumaient leurs fonctions parentales. Les enfants fonctionnaient comme des mécanismes de déviation du conflit. Le prix qu'elles payaient se montrait à la fois dans l'augmentation de leur niveau d'AGL et dans l'incapacité du niveau de Dédée à revenir au point de départ. L'interdépendance entre l'individu et sa famille - le courant entre « intérieur » et « extérieur » - est démontré d'une façon poignante dans cette situation expérimentale où ce qui se passe au niveau du comportement entre certains membres de la famille peut être mesuré dans la circulation du sang d'autres membres de la famille. »
Lieu du symptôme et lieu de la pathologie
Avec cette expérimentation, Minuchin met très clairement en évidence ceci que, dans les domaines de la psychopathologie et de la psychosomatique, il convient de dissocier entre « lieu du symptôme » et « lieu de la maladie ».
Contrairement à ce que le modèle réductionniste affirme, le symptôme d’hyperlabilité de Dédée ne trouve pas ses causes dans Dédée, mais dans un jeu d’interactions répétitives, un pattern, une structure.
Ainsi, à considérer l'esprit comme extra-cérébral aussi bien qu'intra-cérébral, le fait de localiser le symptôme à l'intérieur du corps ou de l'esprit d’un individu n'indique en rien si la pathologie lui est intérieure ou extérieure.
La pathologie peut être intérieure au patient elle peut se situer dans son contexte social ou dans les rétroactions qui existent entre patient et contexte. La notion de frontière corporelle montre sa faiblesse et impose un changement dans l'approche de la pathologie.
Les axiomes de la thérapie structurale
La thérapie Minuchienne repose sur trois axiomes :
1. La vie psychologique d'un individu n'est pas entièrement un processus interne. L'individu influence son contexte et est influencé par lui au cours de séquences d'interaction qui se répètent constamment. L'individu qui vit à l'intérieur d'une famille est membre d'un système social auquel il doit s'adapter. Ses actions sont régies par les caractéristiques du système et ces caractéristiques comprennent les effets de ses propres actions passées. L'individu répond à des stress dans d'autres parties du système auquel il s'adapte. Il peut contribuer de façon importante à stresser d'autres membres du système. On peut aborder l'individu en tant que sous-système ou partie du système, mais l'ensemble doit être pris en compte.
2. Le second axiome sous-jacent à cette forme de thérapie dit que des changements au niveau de la structure familiale contribuent à des changements dans le comportement et les processus psychiques internes des membres de ce système.
3. Enfin, troisième axiome : quand un thérapeute travaille avec un patient ou la famille d'un patient son propre environnement devient partie du contexte. Thérapeute et famille s'affilient pour former un nouveau système, un système thérapeutique - et ce système régit alors le comportement de ses membres.
Ces trois postulats :
- le contexte influence les processus internes,
- les changements dans le contexte produisent des changements chez l'individu,
- le comportement du thérapeute est important pour le changement,
ont toujours été des éléments du bon sens en psychothérapie ; mais l’essentiel des théorisations portaient sur les processus intrapsychiques.
Avec les travaux des premiers thérapeutes systémiciens, jay Haley et la schizophrénie, Minuchin et la psychosomatique, ces objets de bon sens deviennent le point central de la pratique en psychothérapie.
Lire :Minuchin S. 1998. Familles en thérapie. Ediitons ERES, France.
Qu’est-ce qu’un système vivant ?
Quelques définitions.
Système vivant :
Un système vivant c'est un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'une finalité, à savoir produire et maintenir son organisation.
Chacun des éléments du système est lui-même un système : une cellule est un système dans la mesure où elle produit son identité, son unité et son autonomie.
Trois grands principes organisateurs des systèmes vivants :
Ludwig von Bertalanffy, dans son ouvrage majeur « Théorie générale des systèmes » (1968), met en évidence trois caractéristiques présentes dans tous les systèmes vivants, individuels et collectifs :
1. Principe d'équifinalité :
Dans tout système vivant le même état final peut être obtenu à partir de conditions initiales différentes. (von Bertalanffy p. 38)
Le principe, inverse, qui nous a été très puissamment inculqué comme étant le seul exact est celui-ci :
A partir de conditions initiales identiques, le même état final est toujours obtenu : c’est le principe d’unifinalité.
Mais ce principe d’unifinalité est typique de l’univers du non vivant tel que la physique et la Chimie classiques le décrivaient ; il trouve les limites de sa pertinence dès qu'on sort des comportements d’une machine triviale, dès qu’on aborde les comportements des systèmes complexes en général et des systèmes vivants en particulier. Le problème est que la psychologie dite scientifique persiste à s’appuyer sur ce principe d’unifinalité.
2. principe de complexification :
Tout au long de leur existence, les systèmes vivants accroissent leur organisation.
Le principe qui nous a été inculqué comme étant le seul exact est celui-ci :
« La tendance générale des événements dans la nature physique est d’aller vers des états de désordre maximum et des nivellements de différence, avec comme vision finale ce qu’on appelle la mort calorique de l’univers. »
(von Bertalanffy p. 39)
Ce principe est en fait le second principe de la thermodynamique, le principe de Carnot-Clausius connu aussi sont le nom de principe d’entropie.
La thermodynamique a constitué une révolution au sein de la physique et lui a permis d’aborder tous les domaines que la physique mécanique ne pouvait qu’ignorer parce que trop étrangers à ses lois. Mais, appliquée aux système complexes, la thermodynamique échoue à rendre compte du fait que, à l’évidence, les systèmes complexes, loin d’obéir à la loi d’entropie et de se diriger vers des états de désordre maximum et des nivellements de différence, montrent la caractéristique inverse : ils accroissent indéfiniment leur organisation et produisent de la différence… jusqu’à ce que la mort les rattrape, bien entendu ! Ce sont des systèmes négentropiques (Brilloin).
3. principe d’homéostasie :
Claude Bernard écrivait ceci, en 1865:
« Tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. »
Et en 1938, Walter Cannon (neuro-physiologiste américain, né en 1871, mort en 1945, dont nous reparlerons en Master 1) reprenait, en le complétant, ce modèle génial :
« Les êtres vivants supérieurs constituent un système ouvert présentant de nombreuses relations avec l'environnement. Les modifications de l'environnement déclenchent des réactions dans le système ou l'affectent directement, aboutissant à des perturbations internes du système. De telles perturbations sont normalement maintenues dans des limites étroites parce que des ajustements automatiques, à l'intérieur du système, entrent en action, et que de cette façon sont évitées les oscillations amples, les conditions internes étant maintenues à peu près constantes (...). Les réactions physiologiques coordonnées qui maintiennent la plupart des équilibres dynamiques du corps sont si complexes et si particulières aux organismes vivants, qu'il a été suggéré qu'une désignation particulière soit employée pour ces réactions: celle d'homéostasie. »
C'est à partir de ces trois premiers éléments que la biologie, puis les sciences humaines, se sont peu à peu arrachées aux modèles classiques de la physique mécanique et thermodynamique, et ceux de la chimie minérale.
Equifinalité, complexification et homéostasie sont aujourd’hui parties intégrantes du modèle de la complexité.
Implications concrètes de ces trois principes, en psychologie.
Concrètement, quelles sont les implications de ces trois principes en psychologie et, plus précisément, en psychothérapie ? J’en retiendrai trois :
1) il n'y a pas une "bonne" manière d’aborder et de soigner efficacement un système humain, il y a toujours plusieurs manières possibles de l’aborder et de le soigner ! Aucun principe thérapeutique ne peut prétendre à l'exclusivité, quant à l'efficace.
2) un système humain possède en lui-même d'importantes capacités de complexification, c'est à dire aussi d’auto-régulation et d'auto-guérison (soigner consistera donc souvent à soutenir et à permettre le renforcement de ces capacités).
3) lorsqu’une personne, un couple, une famille, une équipe, demandent de l’aide, ils ne demandent pas du changement : ils demandent qu’on les aide à maintenir leur homéostasie. La plupart des échecs thérapeutiques et éducatifs sont liés à une incompréhension de la demande.
Il existe un certain nombre d’études qui mettent clairement en évidence les implications de ces trois principes. Nous allons en évoquer une, particulièrement expressive, celle menée il y a quelques années par Lambert.
Sur la compétence des psychothérapeutes
Je vais faire à présent état de travaux qui, en s’appuyant sur une méta-analyse très large ainsi que sur quatre items que je crois pertinents, mettent en évidence les éléments composants efficients dans la thérapie.
La question de la recherche sur les résultats
La recherche sur les résultats en psychothérapie a longtemps buté sur un obstacle de taille : en 1952, Eysenk avait produit une étude selon laquelle les deux tiers des névrotiques s’améliorent ou se rétablissent spontanément dans les deux ans qui suivent l’apparition des symptômes, qu’ils soient traités ou non. Cette plutôt bonne nouvelle impliquait cependant une limite drastique concernant les possibilités d’évaluation de l’efficacité des thérapies qui durent plus d’un an et demi : en effet, avec un biais de 2/3, il devenait impossible de savoir si les améliorations repérables dans une thérapie ayant duré deux ans relevaient d’un processus spontané ou des bénéfices de la thérapie. La psychanalyse et les thérapies moyen et long cours se trouvaient donc d’emblée exclues d’une possible évaluation quant à leur efficacité. De là à laisser entendre qu’elles ne pouvaient justifier d’aucune efficacité, le pas était aisé à franchir et il le fut par les tenants des thérapies brèves pour lesquels ces chiffres étaient une bénédiction : les mêmes causes produisant les mêmes effets, les thérapies dites brèves devenaient par définition efficaces puisque évaluables.
En 1966, à partir d’une méta-analyse reprenant la totalité des travaux sur plusieurs décennies (Lambert, Shapiro & Bergin 1966), Lambert et coll. dégagent des chiffres qui révisent à la baisse ceux donnés par Eysenk en 1952 : 43 % des malades n’ayant reçu qu’un traitement minimal ou pas de traitement du tout, s’amélioreraient spontanément dans les deux ans qui suivent l’apparition des symptômes.
Ce taux de 43 % est élevé, mais pas assez cependant pour invalider l’efficacité des psychothérapies s’étalant sur deux ans et plus.
Toutes les études disponibles mettant en évidence une diversité plus qu’infinie dans les techniques et dans les opinions des thérapeutes sur ce qui est « très bénéfique », Lambert se propose d’« identifier un ensemble limité de techniques caractéristiques transversales aux écoles », à partir de quoi il deviendrait possible d’expérimenter et valider plus efficacement.
Pour avancer dans cette voie, il propose de s’appuyer sur quatre facteurs quantifiables, par lesquels s’opèreraient les changements positifs dans une thérapie.
Il retient :
o les facteurs extra-thérapeutiques
Facteurs qui tiennent en partie au client lui-même, en partie à son environnement et qui contribuent à la guérison indépendamment de la thérapie en cours.
o Les attentes
Partie de l’amélioration qui résulte du crédit que le patient accorde aux techniques et aux principes du traitement.
o Les techniques
Facteurs propres à des thérapies spécifiques.
o Les facteurs communs
Deux niveaux de variables qu’on retrouve dans diverses thérapies :
- concepts communs à plusieurs modèles de thérapie
- pratiques communes aux divers thérapeutes, hors théorie, telles que : empathie, chaleur, acceptation, encouragements à prendre des risques, alliance forte, etc.
Les chiffres, un appui consistant pour l’amélioration de nos compétences.
Nous allons voir qu’ils sont pour le moins décoiffants :
o facteurs extra-thérapeutiques : 40 %
o Facteurs communs : 30 %
o Attentes : 15 %
o Techniques : 15 %
Nous constatons que les particularités techniques, telles qu’elles sont promues et défendues comme les seules bonnes par les tenants de tel ou tel modèle de thérapie, entreraient pour 15 % dans l’efficacité des thérapies. C’est peu ! C’est peu et c’est passionnant pour tout thérapeute curieux d’améliorer ses pratiques… C’est peu et c’est salutaire pour tout thérapeute tenté de céder à une position intégriste (pas de salut hors de mon modèle !)… C’est peu et c’est précisément beaucoup de place laissée à l’innovation : de fait, ces 15 % laissent 85 % d’espace à la réflexion et à l’invention.
Quelques commentaires sur les items choisis.
1. les changements extra-thérapeutiques : 40%
Les facteurs ici évalués relèvent des ressources de l’environnement, des soutiens divers, des processus de résilience que peut rencontrer ou susciter une personne en difficultés psychologiques. Il semble que leur identification puisse constituer une information précieuse pour les praticiens-chercheurs : dès lors en effet qu’ils les connaissent, il peuvent les modéliser en vue de les inclure dans le processus thérapeutique lui-même, ou encore susciter ces ressources et soutiens en tant qu’élément du processus thérapeutique et ainsi en faire profiter ceux des patients dont les contextes ne les contiendraient pas potentiellement.
En voici quelques uns :
- lectures et rencontres fortuites
- soutien conjugal, familial, communautaire
- groupes informels de parole ou d’écriture
- activités artistiques (poterie, peinture, sculpture, danse…)
- activités sportives impliquant une discipline ou une philosophie particulières
- etc.
Notons que la méta-analyse de Lambert et coll. n’intégrait pas la thérapie systémique, de pratique trop confidentielle à l’époque pour offrir un chiffrage statistiquement utilisable (si nous en croyons les dires de Jay Haley, les choses n’ont guère changé actuellement) (Haley 1995).
Il est évidemment possible d’objecter que le patient a pu tirer profit de ces choses précisément parce qu’il était en thérapie : le problème de cette objection est que les 43 % d’amélioration spontanée (sans thérapie du tout) constituent une contre-objection forte !
Il n’en reste pas moins que ce champ reste très largement ouvert à l’innovation en thérapie.
2. Les attentes : 15%
La notion d’attente, contrairement aux facteurs extra-thérapeutiques, a suscité très tôt une réflexion, du fait, essentiellement, de son lien avec l’hypnose. François Roustang (Roustang 2000) nous rappelle que le jeune Freud l’évoque ainsi en 1890 :
« Un facteur dépendant de la disposition psychique du malade influence, sans aucune intention de notre part, le résultat de tout processus thérapeutique introduit par le médecin. ». « Cette attente croyante, écrit Freud à cette époque, n’est ni dosable, ni contrôlable, ni intensifiable ».
« L’état psychique d’attente, qui est susceptible de mettre en branle toute une série de forces psychiques ayant le plus grand effet sur le déclenchement et la guérison des affections organiques, mérite au plus haut point notre intérêt. ».
En 1904 il a révisé son « ni contrôlable, ni intensifiable » et écrit :
« On place les malades, en vue de la guérison, dans l’état d’attente croyante ».
En bon thérapeute cognitiviste, il distingue même « l’attente anxieuse » qui favorise l’apparition de la maladie, de « l’attente croyante (…) force agissante avec laquelle nous devons compter, en toute rigueur, dans toutes nos tentatives de traitement et de guérison ».
C’est cette forme d’attente, dit-il, qui est à l’œuvre dans les guérisons dites miraculeuses. Les effets de l’attente croyante sont intensifiés par la présence d’une foule tout entière tournée vers la même croyance, ou par la renommée du site de pèlerinage, ou celle d’un saint, ou encore celle d’un médecin à la mode…
Malheureusement, Freud enterra trop tôt ces remarques au profit de sa théorie du transfert, qui est alors devenue la réponse a priori à toutes les questions que pose cette notion d’attente, ainsi qu’à toutes les questions posées par les contradictions que lui avaient inspirées cette observation.
Il faudra attendre Milton Erickson (1990), pour que ces réflexions fondamentales trouvent les développements techniques qu’elles méritent. Nous connaissons le brio avec lequel il a montré combien il est possible d’améliorer le score de 15 % de ce registre des attentes ; à la suite de milton Erickson qui en fut un maître inégalable, les thérapeutes systémiciens se sont attachés à en développer les implications, avec la production de techniques d’affiliation, les travaux sur l’alliance famille-thérapeute et la modélisation autopoïétique de co-construction d’un système thérapeutique (Varela 1989). Nicklas Luhmann (1995), refondant la sociologie sur le modèle autoïétique, a superbement développé la notion de confiance a priori.
Ce champ est donc largement labouré par les thérapeutes systémiciens et nous en connaissons tous le poids dans la réussite des thérapies. Il reste à ne pas se laisser endormir par la virtus dormitiva (Bateson 1977) de la notion de placebo : c’est en effet dans ce registre que les chercheurs américains avaient rangé l’attente du patient.
3. Les techniques : 15%
Les techniques dont il est ici question sont celles que les divers modèles psychothérapeutiques décrivent dans leur programme officiel comme étant leur marque de fabrique, leur bien le plus précieux, la source de leur efficacité. A un point tel qu’il est facile de décrire ces techniques comme les rituels d’appartenance, hors de l’usage desquels un thérapeute ne peut être reconnu comme membre de la confrérie.
Citons, par exemple :
- le divan + l’association libre + l’interprétation pour la psychanalyse
- le redressement des croyances erronées + l’exposition en imagination + l’exposition in vivo pour la comportementalo-cognitive
- l’écoute-miroir et l’empathie maximale pour la thérapie rogerienne
- la co-thérapie + le miroir unidirectionnel pour la systémique
- etc.
Il apparaît donc que, contrairement à ce que les psys croyants s’attachent à colporter, ces rituels seraient de peu de poids dans les effets généraux d’une thérapie : 15%, c’est beaucoup de bruit pour presque rien !
Les choses en fait sont probablement plus complexes : ces marques de fabriques permettent aux patients d’identifier clairement l’appartenance du thérapeute au groupe auquel il donne sa confiance a priori ; elles donnent au jeune thérapeute une sécurité qui, si elle nuit incontestablement à sa créativité, balise efficacement son action. Je me souviens de débats auxquels, jeune psychanalyste, je participais autour de la possibilité ou non de faire des psychanalyses en face-à-face, ou des psychanalyses gratuites, ou encore payées par chèque. Je me souviens aussi des saintes colères de Mara Selvini quant on lui avouait conduire parfois en solo des thérapies de famille.
Paradoxalement, il apparaît que la technique se présente comme l’élément le moins fiable dans la pratique psychothérapeutique… ce avec quoi il semble préférable de montrer une constante prudence et, surtout, ce qui doit évoluer sans cesse.
Les facteurs communs : 30%
Avec les facteurs extra-thérapeutiques (40%), les facteurs communs constitueraient l’essentiel de l’efficace des thérapies, tous modèles confondus : 70% ! Ces deux types de phénomènes sont donc une véritable mine pour la recherche en psychothérapie.
Lambert en propose une définition à deux étages :
· facteurs communs en termes de résultats :
Ralph Heine (1953), étudiant les évaluations fournies par trois groupes de patients ayant suivi trois types de thérapies différentes :
o centrée sur le client (Rogers)
o psychanalytique
o adlérienne
…rapporte que les trois groupes de patients décrivent les changements obtenus, presque dans les mêmes termes.
Il est donc possible d’inférer la présence de ce type de facteur commun entre ces trois formes de thérapie. Ce travail comparatif a ensuite été largement validé par de nombreux travaux (Bergin 1971, Bergin & Lambert 1978, Luborsky, Singer & Luborsky 1975, Smith, Glass & Miller 1980), qui ont montré que des formes de thérapies aussi apparemment éloignées que la psychanalyse (brève) et la thérapie cognitive ne montraient pas, dans le succès, de différence marquée du point de vue de la description des résultats par les patients.
Il faut remarquer ici que ces remarques sont entachées d’une relative faiblesse logique : une hypothèse tout aussi plausible serait que la palette des changement des humains reste globalement la même, quel que soit le type de perturbation psychothérapeutique qu’on leur inflige… mais cette faiblesse logique reste négligeable quant au constat qui est fait : trois techniques différentes, fondées sur trois théories différentes, donnent les mêmes effets en termes de soulagement de troubles psychologiques.
Il y a peu à dire sur ce point, sinon qu’il renvoie aimablement dos à dos les parangons de telle ou telle pratique.
· facteurs communs en terme de pratiques effectives pour des psychothérapeutes d’appartenances théoriques différentes.
L’analyse des films de séances de Karl Rogers, de Milton Erickson, des premiers systémiciens, a mis en évidence que, au delà des programmes officiels qu’ils défendent, les thérapeutes efficaces montrent des manières concrètes de fonctionner très voisines, avec leurs patients : empathie, utilisation des signaux du patient, acceptation, interactivité, inventivité, capacité de contextualisation, capacité à produire un lien de confiance, etc.
Ce registre est, à mes yeux de formateur, extrêmement précieux car ces manières concrètes de fonctionner avec les patients, même si les meilleurs d’entre nous les mettent en œuvre « naturellement », sont parfaitement modélisables (Gaillard 2003) et accessibles à un apprentissage. Beaucoup de travail reste à faire sur ce plan : la sacro-sainte technique tend toujours à le minimiser.
Il est à ce propos remarquable que les thérapeutes interrogés sur leurs succès thérapeutiques n’intègrent jamais leurs caractéristiques personnelles dans leurs explications.
Conclusion
L’évaluation comparative quantitative de l’efficacité des psychothérapies pose plus de problèmes qu’elle n’a résout, en créant de facto une situation guerrière totalement étrangère à l’esprit de la psychothérapie toutes théories confondues : en d’autres termes, le seul effet de la récente étude de l’INSERM a été une déclaration de guerre (purement économique) entre psychanalyse et tcc.
J’espère cependant avoir montré qu’une évaluation quantitative de l’efficacité, non pas des psychothérapies, mais par le travers des psychothérapies, peut en revanche déboucher sur une incitation utilement orientée à améliorer nos pratiques. Celle sur laquelle j’ai construit mon propos constitue un appel à la plus grande modestie quant à la pertinence de nos théories, un renvoi à notre responsabilité personnelle -la théorie vérité ne pouvant plus vous tenir lieu d’éthique, ainsi qu’une incitation joyeuse à l’inventivité.